JOHN CROWLEY: Kid B

Crimes et châtiments ne sont plus
les mêmes dans notre société –
c’est ce que démontre l’intransigeant « Boy A » de John Crowley.

Si la nouvelle identité ne vous sied pas, il n’y a rien à faire.

Quand son âme touche au point blanc de sa mémoire, ce point qu’il ne pourra jamais oublier mais qui lui est indicible, il bégaie, se cache sous sa casquette et essaie de sourire, mais pourtant il ne sait pas changer de discussion – un peu comme si demeurer dans cette situation de demi-confession, à la limite du supportable lui faisait du bien. Jack, le jeune homme en question, ne s’appelle pas vraiment Jack. Dans ses minutes de faiblesse ressurgit en lui l’enfant qu’il était, Eric, qui s’est rendu coupable alors qu’il était encore à l’âge de l’innocence, neuf ans. 15 ans plus tard, Eric sort de prison, mais rien n’est comme avant – et plus rien ne devra l’être. Mis sous protection policière et pourvu d’une nouvelle identité, il est désormais Jack Burridge, un jeune qui a connu quelques difficultés pour des délits mineurs et qui profite d’une mise au travail dans une entreprise de transports. Le seul à connaître son secret est Terry, son assistant social. Philip, l’ami d’enfance avec lequel il a commis le meurtre d’une petite fille, s’est pendu en prison.

A partir de ce scénario, le metteur en scène aurait pu raconter une formidable romance à l’eau de rose, pleine de réconciliation, de nouvelles amours et d’un second départ dans la vie. Mais, même si le nouveau Jack tombe rapidement amoureux de la secrétaire Michelle, il n’arrivera pas à exorciser ses démons. Comment y arriverait-il d’ailleurs ? Pourchassé en permanence par la société qui l’a condamné à l’extérieur et par sa propre histoire en son for intérieur, Jack-Eric n’a aucune chance d’échapper, de s’échapper même. Et ce n’est pas encore le pire. Car, s’il reste un pourchassé qui n’a même pas droit à un exile intérieur, c’est que la même société qui l’a condamné à la prison et à la vindicte populaire – les tabloïds qui ont fait de lui un monstre – essaie maintenant de le cacher, comme si des gens comme Eric ne pouvaient pas exister. C’est cette histoire d’une société obsédée par le contrôle, sûre de ses jugements et encore plus sûre d’elle-même quand elle désigne ce qui n’a pas droit à une existence que raconte le film. Quand Jack trébuche sur des nouveautés qu’il n’a pas connues, que ce soient les DVD où son premier amour, on se rend compte qu’il n’est pas un monstre, mais une sorte de Caspar Hauser des temps modernes, plus aliéné par son emprisonnement que par ce qu’il a pu faire.

Agissant ainsi, la société enlève à Jack-Eric toute possibilité de rédemption, ou même d’une confrontation avec sa propre culpabilité dans ce qui s’est passé il y a quinze ans. Pour Eric, le couperet est tombé il y a longtemps : il est un monstre, un non-humain, quelqu’un qui n’a pas le droit d’exister dans un monde qui se veut parfait et lisse. Il ne lui reste qu’à revêtir la peau de Jack, identité préfabriquée tout comme il faut, faisant de lui un Boy A parfait, tout en lui enlevant la possibilité de se réconcilier avec son enfance, quelque difficile et catastrophique soit-elle.

Car le vrai problème de Jack-Eric n’est pas le fait d’être un monstre ou un pourchassé, mais c’est qu’il ne peut pas en parler. Même Terry, son aide, ne peut pas l’autoriser à transgresser cette loi, sous la férule de laquelle il est supposé vivre, mais qui ne fait que l’étouffer.

Dans ce sens, « Boy A » est une petite perle, noire et froide et bien anglaise. Qu’elle soit largement inspirée d’une histoire réelle, n’étonne pas vraiment, tant la violence – ou ultraviolence comme l’a formulé Kubrick – juvénile est au coeur des actualités et des obsessions outre-Manche. Mais cela ne devra pas nous faire oublier, que des Boy A sont potentiellement partout et qu’eux aussi ont le droit de vivre leur identité, aussi cruelle soit-elle.

« Boy A », à l’Utopia.


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