NOISE ROCK: Eternelle jeunesse

Si un groupe manquait encore au palmarès des formations cultes à avoir joué au Luxembourg, c’est bien Sonic Youth.

Il y a des groupes influents qui apparaissent une seule fois dans l’histoire de la musique mais qui laissent derrière eux un paysage musical dans lequel rien n’est comme avant. Comme par exemple The Velvet Underground, formation de courte durée après tout, qui a influencé des milliers de groupes jusqu’à nos jours, ou encore les Beatles, qui ont défini le canon de la musique pop, auquel aucun groupe n’a changé une seule once en ces dernières 40 années. Il y en a d’autres – plus rares – qui réussissent à influencer, sans s’autodétruire pour autant. Sonic Youth est un de ces groupes.

Né des convulsions de la musique hardcore et la no-wave, une discipline de musique aux confins de l’expérimentation et de la philosophie, Sonic Youth prend son envol dès le début des années 80. Le groupe se compose de Kim Gordon à la basse et aux chants, son mari Thurston Moore aux guitares et aux chants, de même pour Lee Ranaldo. Le batteur Steve Shelley est arrivé un peu plus tard, vers 1985 et l’album Bad Moon Rising. A leurs débuts se trouve surtout l’influence du compositeur Glenn Branca. Cet artiste d’avant-garde fût le premier à composer des symphonies pour guitares – et quelques futurs membres de Sonic Youth vont se retrouver recrutés pour des tournées avec Branca. Leurs techniques de guitare – qui sont toujours savamment désaccordées – et leur prédilection pour des morceaux qui n’obéissent pas aux lois de la pop, mais à des structures issues de la musique classique, feront partie de l’image de marque de Sonic Youth jusqu’aujourd’hui.

Mais la composante expérimentelle n’est qu’une facette des talents du groupe. Styles et contenus alternent sur chacun de leurs albums et on peut dire qu’ils sont une des rares formations à se réinventer à chaque album. Si à leurs débuts – et surtout avec le classique Confusion is Sex de 1981 – leur univers était avant tout arty et new-yorkais, l’album suivant Bad Moon Rising, s’attaque plutôt à des thématiques des grands espaces américains, avant tout grâce au duet d’enfer avec Lydia Lunch sur Death Valley 69. Les deux oeuvres suivantes Evol et Sister comptent parmi les grands classiques de Sonic Youth. Déjà la photo sur le cover de Evol – extraite d’un film sado-maso du photographe new-yorkais Richard Kern – démontre à quel point le groupe est passé maître dans la discipline du mélange entre références pop et revendications politiques. C’est surtout Kim Gordon qui combat l’homophobie et le sexisme dans ses textes, souvent par des injonctions directes, comme « Say the word Fuck, the word is Love » dans la chanson Flower, sur Bad Moon Rising. Sister, par contre, illustre aussi les affinités littéraires du groupe – la plupart des textes de l’album étant inspirées par les romans de Philip K. Dick, auteur entre autres de Blade Runner.

Ensuite vient une exception notoire dans la carrière du groupe : sous le pseudonyme de Ciccone Youth, ils enregistrent un album de reprises de? Madonna. La chanteuse new-yorkaise cristallise en elle tout ce que Sonic Youth n’est pas : elle est sur un label major, n’a aucun problème avec les clichés machistes et ne se targue pas de culture ni de politique. En faisant The Whitey Album, Ciccone – Sonic – Youth démontrent qu’enregistrer un album de reprises peut aussi être un acte politique.

Daydream Nation, l’album régulier qui suit, est pour beaucoup de fans et pour le groupe même, l’album emblématique, le plus américain et le plus réussi de Sonic Youth. Les classiques Eric’s Trip ou encore Teenage Riot s’y trouvent et la couverture de Gerhard Richter est devenue culte. En tout, l’album rend bien l’atmosphère politique de l’année 1988, où le « cold warrior » Reagan a laissé la présidence américaine à George Bush senior. Daydream Nation fût aussi le dernier album à être sorti sur un label indépendant, le groupe ayant signé sur Geffen Records en 1989. Pour l’anecdote, on peut relever que ce furent les membres de Sonic Youth qui conseillèrent à David Geffen de signer un petit groupe de Seattle qu’ils connaissaient bien et appréciaient : Nirvana. Mais ça, c’est une autre histoire.

Lea albums suivants Goo, Dirty, Experimental Jet Set Trash and No Star, ont tous été des succès commerciaux qui ont ouvert le public mainstream à l’art de Sonic Youth de mélanger sons expérimentaux et mélodies toujours plus pop. Une évolution qui n’est d’ailleurs que partiellement assumée par le groupe, qui n’a pas longtemps hésité pour fonder son propre label Sonic Youth Records (SYR) pour produire ses propres CD plus expérimentaux. Depuis sa fondation, SYR a produit une bonne demie-douzaine d’enregistrements qui sont tous non-commerciaux et difficilement soutenables pour les oreilles non-averties. Ainsi, ils gardent la balance entre commercial et artistique, car jamais Sonic Youth n’ont arrêté de produire des enregistrements pour Geffen. Leur dernier Rather Ripped date de 2006.

Pour le concert à l’Atelier, on ne sait pas encore à quoi s’attendre, tant les facettes de Sonic Youth sont multiples et changeantes. Mais on peut être sûr que le concert ne passera pas inapercu.

Sonic Youth, à l’Atelier, ce samedi 25 avril.


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