Avec « Looking for Eric », le cinéaste du réalisme social anglais Ken Loach s’essaie à la comédie. Ce n’est pas drôle, mais ça vaut le coup.
Eric Bishop est un homme comme il en existe des millions partout dans le monde occidental. Postier à Manchester, il élève seul ses deux beaux-fils qu’il tient de sa deuxième femme – qui se trouve en prison, pour des raisons que le film ne divulgue pas. Au fur et à mesure que sa maison se remplit d’appareils électroménagers volés que ses fistons entreposent un peu partout, la vie et le coeur d’Eric se vident. Ou bien, pour le dire plus précisément, il prend conscience de son vide intérieur et des événements du passé qui ont fait qu’il se retrouve un jour en circulant à contre-sens dans un rond-point, encore et encore, jusqu’à ce que quelqu’un lui rentre dedans. Même pas bourré au moment des faits, Eric Bishop doit tout de même faire face à la vie qu’il mène : à sa maison de plus en plus délabrée, à sa fille Sam issue de son premier mariage et qui l’accuse de ne pas vouloir l’aider à terminer ses études en veillant sur sa petite fille. Et puis, il y a encore Lily, la mère de Sam, sa première femme. Pour Eric, Lily, n’est qu’un ramassis de regrets, un générateur de haine tournée contre lui-même. C’est surtout une grosse malle en bois dans sa chambre à coucher, où il a tout enfermé de sa vie d’antan, avant qu’il ne quitte Lily et qu’il n’a pas rouverte depuis une trentaine d’années. Bref, c’est un homme qui vit entre les cadavres de son passé et qui réalise qu’il est en passe d’en devenir un aussi.
Ses amis postiers ont beau essayer de lui remonter le moral, mais en fin de compte, c’est Eric qui doit sauver sa peau. Et le seul qui puisse l’aider, c’est Eric. Non pas Bishop, mais Cantona, l’ex-footballeur, l’enfant terrible du foot européen, celui qui s’est fait éjecter du système français malgré ses qualités extraordinaires. Celui, qui – avec l’aide de Michel Platini – a réussi tout de même à devenir le héros des foules en Angleterre en remportant titre après titre, d’abord pour Leeds et puis pour Manchester United. Cantona est peut-être le seul mangeur de grenouilles qui a su se faire respecter outre-Manche, mais il est surtout une personne énormément populaire. Si populaire qu’on ne s’étonne pas de trouver des affiches de lui dans la chambre d’Eric, notre postier. Alors qu’un soir, il s’autorise un petit pétard qu’il a soutiré à son gangster de beau-fils, Eric Cantona apparaît dans sa chambre, afin de lui prodiguer moult conseils de vie. Petit à petit, joint après joint, les deux Eric font connaissance et le postier commence un long trajet qui va le réconcilier avec sa vie, son passé, ses amis et surtout sa famille.
Si le fait de réaliser un conte, qui en plus se veut drôle, peut choquer quelques amateurs de Ken Loach – qui est tout de même le dernier grand cinéaste européen à toujours se revendiquer du trotskysme – on ne doit pas oublier que les films de Loach sont toujours des paraboles, même s’ils se veulent réalistes. C’est qu’un film de Loach sans message social – voire socialiste – n’existe tout simplement pas. Aucun de ses personnages de films est un individu, ils n’existent que par le collectif qui les entoure et la solidarité entre celles et ceux qu’on opprime. Le collectif comme solution aux problèmes de notre société, telle est aussi la leçon qu’Eric le footballeur fait comprendre à Eric le postier. A la vie, comme au stade, on n’est rien sans ses co-équipiers. Et c’est cela, la belle leçon de « Looking for Eric ». Quant à expérimenter avec des styles qui ne lui sont pas familiers, comme la comédie, Loach ne devrait plus les toucher. Certes, le film essaie de temps en temps d’être drôle, mais les moments forts sont dramatiques et c’est eux qui restent gravés dans la mémoire du public. La comédie et l’élément fantastique – après tout Eric Cantona, même s’il joue très bien, n’est qu’une hallucination – se superposent à la trame dramatique du film, mais le greffe ne prend pas. En bref, Loach aurait mieux fait de réaliser ce film sans Cantona et sans essayer de faire rire. Après tout, la misère n’est pas drôle.
« Looking for Eric », à l’Utopia.