La Commission pour l’étude des spoliations des biens juifs n’a pas « constaté de discriminations dans les restitutions et indemnisations » des victimes juives. Pourtant, elles étaient souvent exclues des dédommagements. Un cas de xénophobie étatique.
Enfin. Neuf ans après l’initiative du député socialiste Ben Fayot de créer une commission d’étude sur la spoliation des biens juifs, celle-ci remet son rapport final au Premier ministre. Le parcours de cette commission est une histoire de pannes : difficultés au démarrage, retards et désistements parmi les historiens chargés des travaux, lenteurs lors du nettoyage du fond d’archives de l’Office des dommages de guerre, budgets insuffisants. Notons : en France et en Belgique, des commissions analogues ont effectué leur travail en deux à trois ans.
Il est vrai qu’en Europe, l’histoire de la Shoah et des spoliations n’a été traité plus systématiquement qu’à partir des années 70. Mais selon le rapport, lorsque vers la fin des années 90, les commissions d’étude sur les spoliations se mettaient en place dans les pays voisins, « le gouvernement luxembourgeois d’alors était encore d’avis qu’une telle commission n’avait pas de raison d’être au Luxembourg ». Du fait de l’annexion du grand-duché par l’occupant Nazi et des dédommagements fixés dans la loi de 1950 pour toutes les victimes de la guerre, on concluait que le Luxembourg n’avait plus de besoin d’agir.
Le rapport de la commission a le mérite de montrer qu’il n’en est pas ainsi. Il retrace l’attitude xénophobe d’un Etat luxembourgeois qui réservait les dédommagements aux seules personnes qui étaient en possession d’un passeport luxembourgeois. Face à une communauté juive qui en 1940 était composée à trois quarts de personnes non-luxembourgeoises, cette approche était absolument discriminative dans sa pratique – sinon dans son esprit. Mais le rapport ne mentionne pas que parmi la communauté juive, même les personnes établies depuis des décennies au Luxembourg ne disposaient souvent pas d’un passeport luxembourgeois – au même titre d’ailleurs que beaucoup d’immigré-e-s. Avec comme conséquence des discriminations matérielles et morales bien réelles entre différents groupes de victimes. On s’étonne alors de lire dans les conclusions du rapport qu’il n’y a pas lieu de rouvrir les dossiers. N’est-ce pas accepter la logique discriminative?
Entre ce constat prosaïque et la proposition de la commission d’un dédommagement moral et d’une reconnaissance publique de toutes les victimes juives, il y a une lacune. La commission omet de juger l’attitude de l’Etat. Il en est de même avec sa proposition de créer une Fondation de la mémoire de la Shoah au Luxembourg. C’est une initiative qui s’impose de longue date. Les travaux de recherche mêmes de la commission – sur la décimation de la communauté juive, sur la mise en place du système des spoliations ou encore sur la politique de dédommagement d’après-guerre – montrent les lacunes existantes dans l’historiographie luxembourgeoise. Encore faudrait-il exprimer de vive voix que l’Etat luxembourgeois a manqué jusqu’ici à ses obligations morales de mettre en place une recherche scientifique sur la Shoah. On a préféré créer un centre sur la Résistance, puis un sur l’enrôlement de force. La logique des années 50 est encore présente.