JACQUES AUDIARD: Les Années d’apprentissage

Dans « un prophète » le réalisateur français Jacques Audiard raconte l’ascension de Malik, un jeune délinquant. Une histoire épique sur fonds d’univers carcéral qui donne le film le plus magistral de la rentrée.

En prison, on n’apprend pas que le nettoyage…

Malik El Djebena a 19 ans, une gueule de gamin, il est maghrébin, analphabète, sans parents et sans le sou. Autant dire qu’il est plutôt mal armé lorsqu’il entre en prison pour y purger une peine de six ans. A l’autre bout de la chaîne alimentaire, le parrain corse César Luciani souhaite éliminer un rival arabe. Il lui faut pour cela quelqu’un qui pourrait approcher ce dernier sans éveiller son attention. Désigné, Malik ne peut se soustraire. S’il refuse, il est mort. S’il accepte, Luciani lui offre en revanche sa protection. Devenu homme à tout faire du Corse, le jeune prisonnier sans attaches va commencer à gravir les échelons un par un.

Pour tourner ce cinquième long-métrage, le réalisateur français Jacques Audiard (« Sur mes lèvres », « De battre mon c?ur s’est arrêté ») s’est laissé conseiller par d’anciens prisonniers et une bonne partie de son budget de près de douze millions d’euros a servi à la construction d’une prison-décor en région parisienne. Cela donne une première dimension à son film, celle d’une plongée saisissante, presque documentaire, dans l’univers carcéral. Il y expose l’organisation formelle et surtout informelle, basée sur une violence brute, mais non arbitraire de ce monde à part. Elle est, au contraire d’une absolue fonctionnalité. Les viols, les passages à tabac, les trafics, les assassinats sont autant de réalités que le prisonnier doit intérioriser et en fonction desquelles il se verra astreindre une position dans la hiérarchie pénitentiaire.

Voilà l’apprentissage que fait Malik, la prison est son université. Petit délinquant, il y entre, disons, avec un « bac petits trafics et vols à l’arraché » et en ressort avec un « master en grand banditisme ». « Un prophète » pourrait uniquement déboucher sur cette conclusion désabusée, dénoncer une société qui n’a que la prison qu’elle mérite, ce condensé d’elle-même. Simplement il ne s’agit pas d’une oeuvre à thèse mais plus simplement ou, plutôt, plus subtilement d’une oeuvre cinématographique.

Aussi minutieusement soit-elle reconstituée, aussi juste soit le constat, la prison n’est finalement que la scène sur laquelle se joue une histoire. Il s’agit de l’épopée de Malik, sorte de comte de Monte-Cristo moderne qui, partant de rien, par sa seule intelligence, sa capacité à analyser et à exploiter les situations, va dresser les forces supérieures qui l’entourent les unes contre les autres et, finalement, sortir vainqueur de l’intrigue. Il n’est pas une victime du système, il en devient une donnée. La narration est plus proche de De Palma que de Bresson. Ce en quoi l’on reconnaît probablement la patte d’Abdel Raouf Dafri, qui a co-écrit le scénario et qui, après le diptyque « Mesrine », confirme qu’il est l’un des auteurs français les plus intéressants du moment.

La réussite du film est si patente, que l’on en oublierait presque les risques formels qu’a pris Jacques Audiard. Dans une réalisation qui colle au plus près du personnage principal, il a adopté un parti-pris résolument emphatique, expérimentant autour de la subjectivité, du rêve et de la mémoire. Un pari qui n’était pas gagné d’avance puisque Audiard a décidé de confier le rôle titre à Tahar Rahim, un débutant qui forme pourtant un binôme fracassant avec un acteur aussi confirmé et aussi dense que Niels Arestrup, l’impitoyable César Luciani.

« Un prophète », à L’Utopia.


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