Le développement durable, qui n’en voudrait pas? Au niveau de l’Union européenne, l’heure n’est plus aux déclarations d’intention. Mesurer les progrès et les reculs en matière de durabilité devrait conduire à changer de politique.
Le développement durable, qui n’en voudrait pas? Au niveau de l’Union européenne, l’heure n’est plus aux déclarations d’intention. Mesurer les progrès et les reculs en matière de durabilité devrait conduire à changer de politique.
„Développement durable“ – le terme se retrouve partout, que ce soit dans les programmes électoraux, dans le discours sur l’état de la nation ou, au niveau européen, dans les déclarations du Conseil. Le sommet de Göteborg a même subordonné à ce principe l’ensemble des politiques de l’Union: la politique environnementale, les tentatives d’intégrer la dimension environnementale dans d’autres secteurs et l’agenda „emploi et innovation“, décidé à Lisbonne l’an dernier.
En restera-t-on aux déclarations d’intention et à des catalogues d’idées supposées inspirer les décisions politiques? Pour éviter cela, il faut pouvoir chiffrer le degré de durabilité atteint, afin de formuler des objectifs précis et de contrôler leur mise en pratique. C’est une des fonctions de l’Agence européenne pour l’Environnement (AEE), dont un représentant, Ronan Uhel, était venu à la Chambre des Député-e-s mercredi dernier, sur invitation d’Emile Calmes, président de la Commission de l’Environnement.
„Ces indicateurs existent depuis vingt ans, mais vous, les politiciens, ne les avez pas utilisés“, a dit pour commencer Ronan Uhel. Il a admis qu’aujourd’hui il y a un problème de quantité: du nombre de vaches par hectare au nombre de kilomètres parcourus en avion, les centaines de mesures du développement durable ne sont pas très parlantes. Le rôle de l’Agence sera de „montrer la pointe de cet iceberg“. Elle élaborera des rapports annuels avec quelques dizaines d’indicateurs représentatifs, présentés chacun sur une seule page, avec un gros smiley en-dessous pour les pressés.
Le but est que les décideurs politiques soient confrontés aux conséquences de leurs actes. Quand le smiley „transport de personnes“ fera la gueule, ils ne pourront plus arguer du succès de la nouvelle ligne de bus quand on leur reprochera le projet de tram avorté. „Il faudrait que ces indicateurs déterminent la politique comme le font aujourd’hui le PIB ou le taux d’inflation pour les politiques économiques“, a souhaité Ronan Uhel. Afin que le choix des indicateurs ne soit pas contesté, ce seront les chefs d’Etat eux-mêmes qui l’entérineront lors du sommet de Laeken, en novembre.
Transport: zéro pointé
Le secteur du transport a déjà fait l’objet d’un rapport évaluant l’intégration de la dimension environnementale. „C’est un bon exemple de la nécessité de voir les interactions complexes“, a expliqué Ronan Uhel. Ce secteur génère 3,8 pour cent du PIB. Mais quand on calcule les „externalités“, c’est-à-dire les conséquences négatives non comptabilisées telles que la pollution, les pertes de temps causées par les embouteillages etc., on arrive à huit pour cent du PIB. Et cet écart se creuse – en effet le prix du déplacement en transport public continue à augmenter alors que celui de l’essence reste constant. „Les prix ne reflètent pas les externalités“, a constaté Ronan Uhel. „Changer la fiscalité au niveau européen se fait à l’unanimité – donc, vous pouvez oublier“, a-t-il ajouté. Il ne s’est pas pour autant privé d’épingler le Luxembourg à l’aide d’un overhead comparant les taxes hors carburant sur le transport et montrant que, là aussi, nous sommes parmi les derniers.
„La logique d’intégrer des considérations de durabilité dans des secteurs comme le transport, l’énergie ou l’agriculture se met en place au niveau de l’Union. Il faut qu’elle se reflète au niveau des Etats membres“, a demandé Ronan Uhel. Interrogé sur les inquiétudes, voire le catastrophisme causés par la perspective de 700.000 habitant-e-s au Luxembourg, il a dit clairement: „Nous constatons que pour l’environnement et la durabilité, la déterminante démographique est la moins importante. Ce qui compte, ce sont les choix politiques.“
Robert Goebbels, jadis ministre de l’Economie, s’était dit prêt à reconnaître comme réserve naturelle un dixième du territoire national, à condition que sur le reste, on lui laisse les mains libres. Des années d’expérience ont amené les experts de l’AEE à demander exactement le contraire. „Nous ne voulons pas d’un indicateur ‚protection de la nature‘ qui ne concernerait que dix pour cent du territoire. C’est ce qui se passe sur les 90 pour cent restants qui compte“, a insisté Ronan Uhel. Et de continuer: „Les politiques environnementales seules n’arrivent pas à préserver l’environnement. Les interactions avec d’autres secteurs sont déterminantes.“ Une des batailles qui restent à livrer portera sur le choix des indicateurs socio-économiques, dits „structurels“, un domaine où l’AEE n’a pas le droit d’intervenir.
Durabilité: soluble dans l’Europe du marché?
Justement, une des discussions avec le public a porté sur la compatibilité du développement durable avec le libéralisme et la mondialisation. Ronan Uhel a admis que la libéralisation des transports, par exemple, produisait des coûts cachés et, à travers la demande pour de nouvelles routes, conduisait à la destruction des écosystèmes par fragmentation. „L’environnement est pris en compte trop tard“, a-t-il regretté. Cependant, à Seattle, le commissaire Pascal Lamy se serait montré très attaché au maintien des clauses environnementales. Mais: „Tout compte fait, je constate: jusqu’à présent, l’économie de marché mise en oeuvre au niveau européen n’est pas durable.“
Ronan Uhel a continué: „Lors des Conseils sur l’élargissement de l’Union, je me sens très mal à l’aise. Alors que les pays candidats sont structurellement plus durables que nous, nous les forçons à détruire cela en adoptant les ‚acquis communautaires‘. Nous imposons un modèle socio-économique dont nous savons qu’il faudrait le changer.“
Raymond Klein
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L’adresse web de l’AEE est www.eea.europa.eu
On y trouve notamment un discours du directeur de l’Agence du 7 juillet sur les indicateurs ainsi que le rapport TERM 2001, qui permet de voir comment des indicateurs sont déja appliqués pour le secteur des transports.