En Allemagne comme au Portugal, les socialistes s’affaiblissent tandis que leurs gauches se construisent et les droites se renforcent. A refuser de se positionner à droite ou à gauche, on disparaît au centre.
Quelle est la différence entre une élection au Portugal et une élection en Allemagne ? Au Portugal, quand les socialistes perdent, ils restent au pouvoir quand même. Malgré les différences évidentes entre notre grand voisin germanique et nos voisins indirects lusitaniens, les élections législatives qui ont eu lieu dimanche passé dans ces deux pays ont mis en évidence certains points communs.
Premièrement, la social-démocratie y a laissé des plumes. Deuxièmement, ce sont les partis à sa gauche qui ont fait le plein de voix. En Allemagne, die Linke a réussi à s’établir comme quatrième groupe parlementaire, devançant les Verts, qui ont toutefois également progressé. Au Portugal, la situation est encore plus spectaculaire : en plus des socialistes, l’Assemblée de la République à Lisbonne compte encore deux autre groupes à sa gauche. Le jeune Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), qui, avec 16 sièges (sur 230 au total) et presque dix pour cent des suffrages a devancé le vieux Parti communiste portugais (PCP), allié aux Verts au sein de la CDU (Coalition démocratique et unitaire), qui a néanmoins lui aussi réussi a améliorer son score à 8 pour cent, obtenant ainsi un siège de plus (de 14 à 15).
Certes, il faut également noter que dans les deux pays, la droite a globalement progressé. Si en Allemagne, la CDU-CSU de la chancelière s’est légèrement tassée, elle ne doit son salut qu’à la montée des libéraux du FDP, ce qui fait basculer le Bundestag majoritairement à droite. Au Portugal, la situation est un peu différente : aussi bien le PSD (Parti social-démocrate, centre-droit) que la plus petite formation de la droite dure, le CDS-PP, ont progressé. Mais le PSD, emmené par son austère « challenger » face au premier ministre José Socrates, Manuela Ferreira Leite, n’a pas réussi a détrôner les socialistes de la première place, même si ces derniers ont perdu leur majorité absolue.
Contrairement à l’Allemagne, la gauche reste majoritaire au Portugal. D’un point de vue strictement arithmétique, un gouvernement de gauche PS-BE-CDU serait possible. Mais il est peu probable que ce scénario se réalise. Tout au plus, les socialistes formeront-ils un gouvernement minoritaire, s’appuyant sur des majorités ad hoc.
Pourtant, diraient certains, la logique commanderait que les socialistes rejoignent leurs alliés « naturels » que sont les partis à leur gauche. Sauf que l’aliénation est grande. En l’an douze « après Blair », la social-démocratie européenne n’est pas seulement affaiblie numériquement, en perdant élection sur élection, mais elle se dilue politiquement dans une mare sociale-libérale informe, un centrisme politique propre à mécontenter tout le monde. Centre-droit, centre-gauche : c’est l’époque des alternances sans alternatives, le poison de la démocratie.
Si le SPD continue à incarner la déviance libérale de la social-démocratie, ayant plongé, avec les mesures « Hartz IV », un nombre croissant d’Allemand-e-s dans une sombre pauvreté. Le premier ministre Socrates lui aussi aime à se présenter en version lusitanienne de Tony Blair. Et voilà tout le problème : les élections au Portugal et en Allemagne cristallisent les divergences qui se font de plus en plus jour entre la gauche libérale, gestionnaire et conservatrice d’un système en crise, et ces nouvelles gauches qui, à des degrés toutefois très variables, réinventent leur nouvelle radicalité politique. Lorsque le SPD de Steinmeier ou le PS de Socrates peinent à envisager des alliances à gauche, lorsque, en France, Royal rêve de s’allier à Bayrou, ce sont bien plus que des gesticulations, mais de profonds enracinements structurels qui se manifestent dans cette droitisation. Qu’il s’agisse de l’Amérique latine ou de l’Europe, ces deux gauches sont en train de se dessiner. A l’avenir, cela risque de conduire à des crises et à des refondations des différents partis et familles politiques de ces gauches et cela aura le mérite de clarifier les lignes de fracture entre les gauches qui veulent encore changer la société existante et celles qui s’y sont soumises.