CINQ ANS DE CONSTITUTION EUROPÉNNE: Un projet mal traité

Le « oui » irlandais au nouveau traité ouvre-t-il de nouvelles portes ? Non, et l’histoire de l’adoption de ce texte est une tragédie pour la gauche.

« Regarder en avant », voilà le maître-mot des professionnels – politicien-ne-s, journalistes et caetera – de l’enthousiasme européen. Ils et elles passent sur la possible obstruction du président tchèque en la qualifiant d’« inacceptable », dans la mesure où les 26 autres pays de l’Union européenne seraient favorables au nouveau traité de Lisbonne. Le « oui » irlandais permettrait enfin à l’Europe de jouer son rôle au niveau mondial, renforcée qu’elle serait par un renouvellement institutionnel.

Tout cela serait peut-être vrai si on assistait à l’aboutissement du projet initial, lancé lors du Sommet de Laeken en 2001 et mis en musique par la Convention européenne : doter l’Union d’une constitution. Au-delà de l’adaptation des institutions aux besoins de l’élargissement, il s’agissait de renforcer légalement et symboliquement l’« Europe politique » afin d’aller au-delà du Marché unique et de l’union monétaire.

Hélas, plutôt que de propulser en avant l’Union européenne, les tiraillements autour d’un nouveau traité l’ont paralysée pendant quatre ans et demi, et ont ébranlé la crédibilité du projet européen dans son ensemble. Du point de vue d’une gauche qui ne croit plus guère aux solutions nationales, cela est particulièrement regrettable – indépendamment de l’opinion qu’on peut avoir sur les moutures successives du traité en question. Comment en est-on arrivé là ?

Dès les travaux de la Convention, il y avait de quoi être sceptique, puisque l’élaboration de cette constitution intéressait peu le grand public et beaucoup plus divers lobbies. Le projet adopté par la Convention fut cependant retravaillé par les gouvernements nationaux. Le résultat, plus pragmatique peut-être, était tout sauf enthousiasmant. C’est alors que la majeure partie des forces progressistes, partis, syndicats et ONG confondus, décida d’apporter son soutien sans faille à un texte qui méritait, au mieux, un soutien très critique. Cela s’explique par certaines avancées ponctuelles contenues dans le projet, mais surtout par l’impuissance de concevoir une alternative à l’adoption de ce texte-là. Notons que les forces de gauche qui optèrent alors pour le « non » se montrèrent tout aussi incapables de proposer une perspective allant au-delà du refus. D’ailleurs, la tentative de formuler une telle alternative aurait sans doute révélé au grand jour les divergences profondes au sein de ce camp.

Ce divorce d’une partie de la gauche a permis d’ébranler le mythe de l’unanimité autour des réalisations européennes et d’articuler l’inquiétude face aux options libérales prises par l’Union. Mais suite à l’affaiblissement de la gauche, centristes et droite ont pu opter pour une refonte du traité en moins ambitieux et en moins progressiste – et à le faire adopter de manière bien moins démocratique. Ainsi, sur la dernière ligne droite, les concessions faites à l’Irlande n’ont pas concerné le volet social, mais des aspects institutionnels … et l’avortement.

Quelle est cette Europe supposée, grâce au nouveau traité, prendre « un nouveau départ » ? Comme l’a montré le semi-échec du paquet anti-crise, elle est plus désunie que jamais. Concernant la démocratisation, le traité accorde certes plus de pouvoir au Parlement européen. Mais la manière de faire adopter la version finale du texte, au nez et à la barbe de l’électorat français et néerlandais notamment, porte un coup fatal à la légitimité démocratique de l’Union – « les 26 autres pays » ne sont nullement tous favorables au traité.

Enfin, les institutions européennes continuent à appliquer des politiques de droite dure. Le dogmatisme monétaire et libéral, la véritable déclaration de guerre contre les réfugiés en Méditerranée et ailleurs et le refus de renforcer l’« Europe sociale » ont été réaffirmés par la réélection de José Manuel Barroso à la tête de la Commission. Qui, à gauche, peut encore s’enthousiasmer pour cette Europe-là ? Quel gâchis !


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