La Compagnie Jucam a décidé de faire revivre Nosferatu, le plus connu des vampires, et de le faire mijoter dans leur sauce.
Ce fut un des premiers films d’horreur et plus d’un-e a sûrement subi un traumatisme pendant son enfance en apercevant une première fois le visage démoniaque du vampire dans son château des Carpates. Mais « Nosferatu » (1922) est aussi un film à l’histoire tragique et complexe qui fut recollé et recomposé de nombreuses fois.
D’abord ce fut une pièce maîtresse du cinéma de l’éphémère république de Weimar, réunissant des acteurs issus de l’école de théâtre expressionniste de Max Reinhardt. En ce sens, « Nosferatu » est aussi considéré comme un chef d’oeuvre de l’expressionnisme.
Pourtant, même avant le premier jour de tournage, le ver était dans le fruit. Car la boîte de production – Prana-Film – avait omis de demander les droits à l’histoire de Dracula, le grand roman de Bram Stoker, dont il s’inspire largement. Les deux producteurs pensaient que leur scénario modifié – surtout le manque d’un héro, Van Helsing, le chasseur de vampires et le fait que le vampire transmette la peste à toute une ville – suffisait pour dissuader Florence Stoker, la veuve de l’écrivain de leur faire le procès. Grossière erreur : « grâce » à Madame Stoker, une bonne partie des copies fut détruite, suite à un procès. Mais le film original a survécu, notamment grâce à une copie qui se situait à la cinémathèque française à Paris et qui a inspiré les surréalistes autour du poète André Breton. Les autres copies suivirent des destins pour le moins étranges : le film fut maintes fois recollé, les titres et les noms des personnages changés – ce qui est assez facile pour un film muet -, et il existe même une copie américaine dotée d’un happy end. Le réalisateur de cette version a tout simplement recopié des scènes de liesse du début du film vers la fin?
A l’époque, « Nosferatu » a été bien accueilli par la critique. Les seules voix discordantes arguaient que le personnage du vampire était « trop réaliste » à leur goût. Alors que c’est justement cette représentation qui a fait que le vampire de Murnau – joué par le jeune Max Schreck – est resté ancré dans notre mémoire collective au point qu’il est devenu un archétype du mal incarné. Dans une perspective du genre, « Nosferatu » est aussi une oeuvre pionnière qui a ouvert la voie au film d’horreur et de vampires. Autrement dit : sans les exploits de Murnau, un film comme « Dracula », produit en 1931 par Todd Browning, n’aurait probablement pas vu le jour aussi vite et la carrière de Bela Lugosi en suceur de sang n’aurait pas trouvé son envol.
Les efforts de reconstruire une copie originale – ou le plus proche possible de la version originale – furent couronnés de succès en 2006 avec la sortie d’un DVD remasterisé par la Friedrich-Murnau-Stiftung. Cette version contient aussi la musique originale composée par Hans Erdmann. Musique originale d’autant plus importante que le film vit beaucoup de son rythme : l’acribie de Murnau le poussait même à utiliser un métronome lors des tournages pour donner le rythme aux acteurs.
La version de la Compagnie Jucam risque pourtant d’être un peu différente. Les trois musiciens, dont le compositeur Fränz Hausemer, vont faire usage d’instruments peu orthodoxes à première vue. Ainsi, l’usage du sampler et de percussions africaines ou encore un piano sont prévus. La compagnie entend ainsi faire revivre l’oeuvre de Murnau au 21e siècle en traduisant l’horreur des images par des sonorités contemporaines. Pour celles et ceux qui n’ont pas froid aux yeux, ni aux oreilles, c’est l’occasion de se faire peur.
« Nosferatu », ce vendredi, 23 octobre au centre culturel opderschmelz à Dudelange.