A travers son dernier film, « The Ghost Writer », Roman Polanski aborde l’engagement du Royaume-Uni dans la « Guerre contre la terreur ». Un polar haletant, aux accents shakespeariens dans lequel les hommes ne sont que des pions sur l’échiquier de la raison d’Etat.
Un « nègre » est engagé par une grande maison d’édition pour donner un peu de relief au livre d’Andrew Lang, l’ancien Premier ministre britannique. Les mémoires d’hommes d’Etat fourmillent généralement de platitudes édifiantes – il s’agit après tout de leur ultime campagne. Mais l’auteur va bientôt se rendre compte qu’il n’est pas seulement menacé par l’ennui. Sur la petite île de la côte Nord-Est des Etats-Unis où il est accueilli par Lang, des rumeurs circulent. Les circons-tances dans lesquelles son prédécesseur a trouvé la mort n’ont pas été totalement éclaircies. Ce proche collaborateur d’Andrew Lang avait-il découvert quelque chose de compromettant au sujet de son employeur ? Ce secret est-il lié à un chapitre de sa biographie plein de zones d’ombre et de contradiction, à savoir son engagement en politique lorsqu’il n’était encore qu’un étudiant sans convictions partisanes ?
Un chef de gouvernement britannique mis à la retraite anticipée par le numéro deux de son parti ; qui engagea son pays sans réserve aux côtés des Etats-Unis, dans la « Guerre contre le terrorisme » et puis menacé de poursuites au Tribunal pénal international pour les crimes de guerre commis par son armée. Tout cela fait bien sûr penser à un certain Tony Blair. Dans son nouveau film, Roman Polanski s’attaque donc à un sujet on ne peut plus contemporain. Il le fait toutefois avec le recul d’une mise en scène extrêmement classique. Dans un premier temps, l’on songe à des expressions désuètes comme « honnête facture » ou « bel ouvrage » pour la décrire. Puis l’on en vient à se dire que cet académisme est lui même porteur d’un message.
« The Ghost Writer » fait immédiatement penser à Hitchcock par son pouvoir de suggestion. Comme dans cette première scène, où une voiture reste garée dans la cale d’un ferry arrivé à destination et toutes les autres doivent la contourner laborieusement afin de sortir. Le spectateur comprend par cette simple immobilité que quelque chose de funeste s’annonce. Il y a surtout, sur cette île battue par la pluie, cette villa ultra-moderne qui baigne dans une atmosphère lourde de menaces et de non-dits.
L’on pense aussi à ces polars sur fonds de confrontation Est/Ouest, notamment à l’« Espion qui venait du froid », avec Richard Burton. Ce que Polanski essaie de faire comprendre, du haut de ses 76 ans, c’est que finalement rien n’a changé depuis la fin de la Guerre froide. La victoire des Etats-Unis n’a pas créé un monde nouveau, plus juste et plus démocratique. C’est au contraire ce pays qui veille aujourd’hui à ce qu’il continue à tourner comme il l’a fait de tous temps. Dans cette vision pessimiste, le personnage principal n’est pas grand chose. Un auteur certes, mais fantôme. Un personnage sans nom que le destin a fait se fourvoyer dans ce jeu des puissants auquel il n’a aucune chance de gagner, auquel il ne participe même pas réellement.
Cet écrivain à l’humour et au charme presque inconvenants est efficacement interprété par Ewan McGregor. Face à lui, Pierce Brosnan est impeccable en vieux séducteur de la politique, convivial et carnassier. Puisque comme dans tout bon film noir, il faut chercher la femme, le spectateur tombera sur Olivia Williams, sublime dans son rôle ambigu d’épouse de chef d’état déchu. Sorte de Lady Macbeth contemporaine, elle est tout à la fois discrète et envoûtante, froide et passionnée, perdue et manipulatrice. Enfin, les cinéphiles reconnaîtront dans un tout petit rôle le désormais nonagénaire Eli Wallach, qui fut la brute aux côtés du bon et du truand, dans le film de Sergio Leone, le Don Altobello du « Parrain 3 » et Guido dans les « Désaxés » de John Houston.
« The Ghost Writer », nouveau à l’Utopolis.