Récompensé par l’oscar du meilleur film étranger, « El Secreto de sus ojos » est une co-production hispano-argentine, à la fois efficace et subtile, qui nous entraîne sur les traces d’un assassin dans le Buenos Aires des années 1970.

« El Secreto de sus ojos » est plus qu’un thriller – c’est l’histoire d’une obsession dont on ne peut se dérober.
Après une énième nuit d’insomnie, passée à tenter de coucher sur le papier une histoire qui le poursuit depuis plus de trente ans, Benjamin Esposito se décide enfin à contacter Irene. En 1974, ses études de droit à peine achevées, celle-ci était devenue substitut du procureur de Buenos Aires et Benjamin était son subordonné. Leur existence fut tourneboulée par l’affaire Lillianna Colotto, une institutrice de 24 ans, violée sur son lit conjugal puis sauvagement assassinée. Bouleversés par le désarroi du jeune époux, Benjamin et Irene s’étaient investis corps et âmes pour retrouver l’assassin. Tant d’années plus tard, Benjamin comprend toutefois que s’il peine tant à achever son roman sur cette enquête, c’est parce que de nombreuses questions demeurent sans réponses.
« El Secreto de sus ojos » est une oeuvre aux multiples facettes, à la fois polar, mélodrame, et thriller. Un film qui interroge des sentiments et des notions universelles, tout en s’ancrant dans un contexte bien particulier. L’Argentine des années 1970, était une société gangrenée par les inégalités, qui s’apprêtait à basculer dans la sanglante dictature des colonels. Que dans ce contexte les individus, aussi bien que les grandes idées abstraites, n’aient eu que peu de valeur, voilà ce que les deux protagonistes allaient apprendre à leurs dépens. Irene Menéndez-Hastings, d’un côté, issue de l’une des plus puissantes familles du pays et, de l’autre, Benjamin, fils de peu, son nom – Esposito – étant d’ailleurs celui qu’on donnait en Italie aux enfants abandonnés à la porte des couvents. Ni leur idéalisme, ni leur amour ne résistèrent aux réalités de l’époque.
Pourtant, le scénario n’est pas ce qu’il y a de plus intéressant dans cette production. Bien sûr, le spectateur à la recherche d’un spectacle efficace ne sera pas déçu. Il y a un flingue, il y a une fille et il y a un dénouement tout à fait inattendu. Simplement, l’on ne peut pas dire que l’enquêteur obsédé par une vieille affaire, le massacre de l’innocence ou l`amour impossible soient des éléments de récit d’une originalité fracassante. Non ce qu’il y a de plus remarquable, c’est la maestria avec laquelle Juan José Campanella a su reprendre ces archétypes et les magnifier par la puissance du langage cinématographique. Sa réalisation a du cinéma américain la puissance d’une narration rythmée et du cinéma italien la subtilité des situations transcendées par la grâce des acteurs tout autant que par la minutie du cadrage.
Le clou du film est un long plan-séquence qui restera dans les annales du septième art. Il commence par une vue aérienne d’un stade. La caméra descend vers la pelouse, se mêle au match, suit un avant-centre, celui-ci passe la balle à un co-équipier, l’attaquant frappe, la balle rebondit sur la barre transversale et se dirige vers les gradins, la caméra la suit un moment, puis s’en désintéresse et plonge au milieu du public pour s’arrêter sur Benjamin venu assister à la rencontre, sûr d’y trouver son suspect, fan de football invétéré ; la déduction s’avère exacte et le plan s’achève par une course-poursuite haletante à l’intérieur du stade. Cinq minutes de bonheur cinématographique qui valent à elles seules le déplacement.
A l’Utopia.