RÉFUGIÉS: Back to no man’s land

Au Luxembourg, l’été est synonyme de refoulements de réfugiés. Les derniers cas connus concernent le Kosovo et la Moldavie. S’ils n’y risquent pas forcément la mort, ils sont souvent renvoyés dans des Etats où presque rien ne fonctionne.

Petit pays d’un peu plus de deux millions d’habitant-e-s, le Kosovo n’en n’est pas moins une mosaïque d’ethnies.
Ici, des Roms dans un campement.

Personne ne semble savoir beaucoup à leur sujet. Ce qui est certain, c’est qu’ils étaient à trois, un couple et leur enfant adolescent et qu’ils ont été reconduits vers leur pays d’origine, la Moldavie, ce mardi, vers 5.30 heures. La Moldavie, c’est beaucoup dire. Selon Norbert Ehlinger de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti), qui ne dispose que de très peu d’informations, ces trois personnes seraient même issues, selon leurs propres dires, de la république autoproclamée de Transnistrie.

Ce pays ne vous dit probablement pas grand-chose, ce qui n’a rien d’étonnant, étant donné qu’il n’est pas reconnu par la communauté internationale. La république moldave de Transnistrie, selon l’appellation officielle, est une petite bande de terre longeant le fleuve Dniestr entre la Moldavie et l’Ukraine. Peuplée d’environ 500.000 habitant-e-s, comme le Luxembourg, la république a fait sécession de la Moldavie pendant le tourbillon géopolitique de la chute de l’URSS. Lorsque la Moldavie avait déclaré son indépendance en 1991, la Transnistrie russophone craignait de subir une discrimination ethnique au sein de la Moldavie essentiellement roumanophone. Une guerre d’indépendance s’ensuivit, qui fit près d’un millier de morts et qui se solda par un statut quo en raison de l’appui militaire de la 14e armée de la Russie emmenée alors par le légendaire général, feu Alexandre Lebed. La défaite fut cuisante pour la Moldavie. Depuis, la Transnistrie dispose de tous les attributs d’un Etat souverain : monnaie, armée, police, gouvernement. Si la Russie, à l’instar de l’ensemble de la communauté internationale ne reconnaît pas officiellement l’indépendance de la Transnistrie, cette dernière est assurée d’un certain soutien de la part du puissant allié. La Moldavie a beau continuer à considérer cette république comme faisant partie intégrante de son territoire, elle n’y a aucun droit de cité.

D’après les renseignements de l’Asti, la famille était présente au Luxembourg depuis 2006 et fut déboutée deux ans plus tard. L’adolescent parlait apparemment déjà le luxembourgeois, mais c’est surtout la mère qui était connue, car elle se rendait de temps à autre dans les locaux de la Caritas afin de recevoir la traduction de documents officiels. Selon Ehlinger, la famille craignait tout simplement une chose si elle devait retourner : la mort. En tout cas, un élément supplémentaire laisse entrevoir un avenir peu certain pour ces trois personnes, dans cette partie d’Europe orientale : ils appartiendraient à la communauté des Roms. Et la probabilité de la véracité de leurs dires selon lesquels ils seraient issus de Transnistrie est grande, car les documents dont ils disposaient étaient rédigés en russe et non en roumain. Depuis leur retour, ni l’Asti, ni la Croix-Rouge, ni la Caritas ne peuvent dire ce qu’il est advenu de ces gens. L’on sait juste qu’ils sont repartis vers leur « no man’s land ».

Le Kosovo est un Etat bien moins obscur que la Transnistrie. Après tout, cette ancienne province yougoslave avait joué la bonne carte en se ralliant aux Etats-Unis et à l’Otan pour qui tout affaiblissement de la Serbie était bienvenu. Les méfaits criminels de la guérilla de l’UCK sont restés impunis et ils se sont entre-temps installés aux commandes du gouvernement. Si un grand nombre d’Etats reconnaissent l’indépendance de la province (à l’exception encore de six Etats de l’UE), celle-ci est loin de présenter les conditions requises pour le fonctionnement d’un Etat souverain.

Un exemple que nous a donné Nonna Sehovic, responsable du Service « Solidarité et Intégration » de la Caritas est particulièrement parlant, concernant l’absence de prise en charge des rapatrié-e-s par les autorités kosovares : « Lorsqu’ils arrivent à l’aéroport de Pristina (la capitale du Kosovo, ndlr), ils sont livrés à eux-mêmes. Une famille vivant dans le nord du pays a été accueillie par un parent qui, ne disposant pas de voiture, a dû faire appel à un taxi pour l’aller et le retour. Le coût de ce transport était considérable. »

Regain de tensions au Kosovo

Il est plus que probable que l’appartenance nationale des rapatriés pèse dans la motivation des autorités kosovares pour venir en aide aux refoulés. Dans ce cas, il s’agissait de personnes appartenant à la minorité serbe. Et les conflits interethniques sont loin d’avoir disparus. Ainsi, le représentant spécial de l’Onu pour le Kosovo, Lamberto Zannier, a déclaré le 6 juillet, devant le Conseil de sécurité réuni en session extraordinaire, que la situation au Kosovo « est plus tendue que d’habitude dans le nord », précisément la région où la minorité serbe représente la majorité. En effet, à ce moment une bombe artisanale avait explosé dans la partie serbe de la ville de Mitrovica, causant un mort et une dizaine de blessés. Quelques jours plus tard, un député serbe de l’Assemblée du Kosovo, Petar Miletic, avait été blessé par des tirs d’origine inconnue.

La semaine passée, le gouvernement luxembourgeois avait fait savoir qu’il avait procédé au rapatriement vers le Kosovo de huit personnes d’origine serbe et bosniaque (voir woxx 1068). Début juillet, il en a été de même de deux familles appartenant à la communauté des Gorani, autre minorité ethnique du Kosovo, et installées au Luxembourg depuis 2003. Et l’Asti vient d’apprendre le cas d’une famille serbe qui s’est manifestée car elle redoute une expulsion. « La mère vit dans la peur de voir arriver la police », nous confie Norbert Ehlinger.

Le gouvernement luxembourgeois est régulièrement pointé du doigt par différentes associations ou ONG pour sa pratique de rapatrier des minorités ethniques vers le Kosovo. La question de savoir si celles-ci pourront vivre en sécurité fait d’ailleurs débat. Alors que, comme nous l’avons vu plus haut, l’ONU parle d’un regain de tensions, le gouvernement considère qu’il y a une évolution positive importante dans cette région.

Le problème, c’est que même les ONG éprouvent certaines difficultés pour évaluer la situation. Nonna Sehovic avoue d’ailleurs qu’il « est difficile de prouver que les discriminations ethniques sont systématiques ».

Quoi qu’il en soit, il suffit de parcourir un certain nombre de rapports pour se faire une image de la situation sur place. Ainsi, Reporters sans frontières affirme que la liberté de la presse au Kosovo est quasiment inexistante.

Mais le problème majeur reste sans aucun doute la situation économique catastrophique, tout comme l’état des infrastructures et le chômage endémique. « Malgré tout, il est rare que des personnes se retrouvent à la rue », affirme Michael Feidt, de Caritas-Europe. Ceci serait dû à la structure encore fortement clanique de la société. Et d’ajouter : « Les rapatriés ont toujours un membre de la famille sur place, et même s’ils sont liés à des degrés très éloignés, l’entre-aide fonctionne la plupart du temps ». En fait, le système est classique : là où les pouvoirs publics font défaut, les sociétés comblent cette absence par la coopération familiale.

Quant aux ONG, comme Caritas, qui détient une antenne au Kosovo, elle tente de venir en aide du mieux qu’elles peuvent à ceux qui en ont le plus besoin : « Nous n’allons certes pas créer des emplois, mais nous orienterons par exemple ceux qui le veulent bien vers des organismes qui délivrent des micro-crédits afin de mettre sur pied des moyens de subsistance », explique Feidt. Idem pour l’aide scolaire. En effet, lorsque le gouvernement procède à ses expulsions, et lorsque les ONG indiquent qu’il se trouve dans le lot des rapatriés des enfants scolarisés au Luxembourg, cela veut aussi dire autre chose : que ces derniers, une fois arrivés dans leur supposée patrie, ne parlent pas ou peu l’albanais. Et il ne faut pas compter sur les autorités du Kosovo pour leur donner des cours de rattrapage. C’est ainsi dans ce no man’s land des Balkans.


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