JEUNES PALESTINIEN-NE-S AU LUXEMBOURG: „Vous ne vivez pas dedans“

Pour les sortir de l’isolation dans laquelle ils et elles vivent habituellement, le Comité pour une paix juste a invité des adolescent-e-s palestinien-ne-s au Luxembourg. Nous les avons interrogé-e-s sur leurs impressions ici et leur vécu là-bas.

La carte est parsemée de petits rectangles avec un symbole qu’on n’arrive pas à identifier. Cela pourrait représenter des pompes à essence, ou des ruines à visiter. La légende renseigne: il s’agit d’une carte des checkpoints dans les territoires occupés palestiniens. Mais ce ne sont pas que des rectangles sur une carte. C’est à ces checkpoints que les adolescent-e-s palestinien-ne-s invité-e-s au Luxembourg ont dû attendre pendant des heures, en plein soleil. Ce sont ces checkpoints qui entravent les déplacements quotidiens – on ne sait pas au bout de combien de temps on passe … si on passe. C’est là aussi que Malika Khayati, venue préparer la visite des adolescent-e-s palestinien-ne-s, a vu les soldats israéliens braquer leurs fusil sur un gamin de dix ans. „J’ai eu peur. J’ai cru qu’ils allaient l’abattre“, raconte-t-elle. Finalement ils l’ont fouillé et l’ont laissé passer. La routine …

Donner à de jeunes Palestinien-ne-s l’occasion de laisser derrière eux et elles cette terrible routine, voilà l’idée de départ du projet lancé par le Comité pour une paix juste au Proche-Orient (voir aussi woxx no 698). Un séjour de trois semaines, en partie dans des familles d’accueil, devrait leur permettre de voir le Luxembourg, mais aussi de parfaire leurs connaissances en français. Vendredi dernier, quatre jeunes de Zababdeh et quatre de Jérusalem-Est sont arrivé-e-s. Ils et elles ont déjà visité plusieurs lycées, notamment le Lycée technique d’Ettelbruck, où le woxx a pu s’entretenir avec eux et elles.

Du vert partout!

„Ce pays est très beau. Les maisons sont grandes. Tout est neuf, moderne.“ „Même les vaches ont la belle vie.“(*) Leurs premières impressions renvoient au fossé qui sépare le Nord et le Sud du globe. „Et il y a du vert partout!“ L’interjection ne vise pas seulement l’humide douceur du climat luxembourgeois. La verdure est le symbole de tout ce que la réoccupation des territoires palestiniens depuis deux ans a changé dans leurs vies quotidiennes. „Nous voulons que nos terres verdoyantes reviennent. Les tanks ont tout détruit. Il ne reste de végétation qu’aux endroits où les tanks ne peuvent pénétrer.“ Les lycées qu’ils et elles ont visités sont un autre sujet d’émerveillement, en particulier les ateliers: „Les écoliers ont tout ce qu’ils veulent. Ils ont même pu construire un moteur de voiture. En comparaison, nous n’avons rien.“

Le contact avec les lycéen-ne-s luxembourgeois-es est bon enfant. On joue un peu de musique arabe, un peu de musique occidentale, puis du rap palestinien … Quelques conversations se nouent. „Ils écoutent, ils sont très intéressés d’en savoir plus sur notre vie“, rapporte Hala, de Zababdeh. Martine Pinzi, du Comité pour une paix juste, estime que les enfants luxembourgeois écoutent, mais qu’ils sont très soucieux de garder une certaine neutralité.

Que pensent les jeunes Palestinien-ne-s du regard que les jeunes Européen-ne-s portent sur le conflit? „Ils n’aiment pas qu’on fasse la guerre, comme tout être humain.“ „Ils ne voient qu’une partie de la réalité, ce qu’on montre. Mais il ne vivent pas dedans.“ Les adolescent-e-s arabes se sentent aussi comme des ambassadeur-e-s de la Palestine: „Peut-être que les jeunes Luxembourgeois verront le conflit différemment. Jusque là, on ne leur a montré qu’un côté.“ La conviction que nos médias ne donnent pas une image juste est forte: „Vous n’en savez pas assez. Si vous voyiez vraiment la manière dont nous devons vivre, vous devriez vous sentir obligés de tout faire pour que ça change.“

Amis ou ennemis?

Concernant les contacts avec des jeunes Israélien-ne-s, les renseignements sont contradictoires. Certain-e-s auraient des ami-e-s juif-ve-s. En même temps, ils et elles préfèrent ne pas se rendre dans des quartiers juifs, de peur de se faire agresser. Un projet tout à fait différent, consacré justement à la rencontre entre les communautés, a d’ailleurs lieu au Luxembourg pendant la deuxième moitié de juillet. Il s’agit d’un camp promouvant la communication et la coopération, organisé par „Les amis d’Israël“, auquel participent des enfants israéliens, palestiniens et bédouins ainsi que des enfants luxembourgeois. Pierre Schneider, vice-président de l’association, explique: „Notre priorité est d’apporter quelque chose aux enfants, et non de sensibiliser la population luxembourgeoise.“ Un repas commun des participant-e-s aux deux projets est cependant prévu.

Les jeunes de Zababdeh et de Jérusalem-Est ne sont nullement des fanatiques anti-israéliens. Concernant la terreur semée par les attentats-suicide, ils affichent une certaine compréhension: „Eux ont peur, comme nous avons peur.“ Mais: „Il y a leurs soldats, leurs tanks, leurs avions, tout autour de nous. Nous courons plus de dangers qu’eux.“ Evidemment qu’ils et elles veulent la paix, comme la plupart des gens, des deux côtés. Et qu’est-ce que ça leur fait, d’être si loin du conflit, et de devoir y retourner? „C’est un time-off.“ Long silence.

Si les jeunes ne parlent guère de leur vécu, Malika Khayati, du Comité pour une paix juste, raconte qu’après son séjour de trois jours en Palestine, elle s’étonnait qu’il n’y ait pas plus de haine encore. „C’est ahurissant de voir les traces de balles sur les murs, de se faire montrer la maison de la famille d’un kamikaze, détruite. Que ce soit la peur du bus stationné à côté, qui pourrait exploser, ou l’angoisse de se faire tirer dessus quand on sort un paquet de cigarettes au checkpoint, la tension est partout.“

Contraste

Pour le moment, les adolescent-e-s vivent bien ce contraste, même si la projection du film „Jénine, Jénine“ les a remué-e-s – la ville est à dix kilomètres de Zababdeh. La dernière journée sera consacrée à la préparation du retour. En attendant, les deux accompagnateur-trice-s adultes du groupe se chargent du suivi psychologique. „De manière très professionnelle“, estime Martine Pinzi. „Un psychologue d’ici pourra-t-il se mettre dans la peau des jeunes? Et quelqu’un parlant arabe, de préférence? Mais la question de la préparation du retour reste à éclaircir.“

Les jeunes Palestinien-ne-s sont tout à fait conscient-e-s du choc qui les attend. Leur attitude semble être qu’il faut faire avec. „Je veux voir un maximum, bouger et non pas rester à la maison. Ceci est une chance de sortir, peut-être unique dans ma vie“, dit Amal, une des adolescent-e-s de Zababdeh. „Amal“ est le mot arabe pour „espoir“.

Raymond Klein

(*) La plupart des citations proviennent d’un entretien en groupe, et lors de la transcription nous n’avons pas pu identifier les intervenant-e-s.
Signalons toutefois que ce sont les
jeunes filles qui ont le plus pris part à la conversation.


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