Dans « Quartier Lointain », Sam Gabarski adapte avec finesse le manga de Jîro Taniguchi sur un homme qui replonge dans sa propre enfance.
« On ne monte jamais deux fois dans le même fleuve ». Et pourtant? La maxime d’Héraclite semble avoir inspiré Jîro Taniguchi lorsqu’il inventait l’histoire de Thomas, qui lui, a la chance unique de refaire son enfance à partir d’un point crucial qui – comme il le croit – a déterminé tout son destin.
Thomas est – à l’instar de Taniguchi – dessinateur de bandes dessinées. S’il n’est pas le topseller de la branche, il possède une base de supporters inconditionnels acquis à son talent, ce qui lui permet de bien en vivre – et de nourrir sa femme et ses deux filles. Pourtant, comme tout homme qui dépasse la quarantaine, il lui arrive de faire le bilan de sa vie et de constater avec amertume que son existence a été avant tout une fuite en avant. Une fuite qui a commencé avec la mort de sa mère qui n’a jamais surmonté son chagrin, du fait que le père les a quittés sans mot dire. Lors d’un voyage à une foire de bande dessinées, sur le chemin du retour, Thomas va se retrouver dans une drôle de situation : il a pris le mauvais train et se retrouve dans le village de son enfance en Savoie. Un lieu où il n’avait plus jamais mis les pieds depuis l’enterrement de sa mère. Il profite de cette plongée nostalgique imprévue pour rendre visite à la tombe maternelle. Et c’est là que se produit le miracle : en observant un papillon qui voltige entre les arbres, il est pris par un vertige et tombe dans les pommes. A son réveil, la tombe a disparu et il a retrouvé sa vie et son corps d’adolescent de 14 ans qu’il était lors de la fuite de son paternel.
Au début, Thomas croit être dans un rêve et se comporte ainsi. Mais il doit vite réaliser – grâce aux réactions incrédules de son entourage – qu’il est réellement retransporté dans son moi de l’an 1967 et qu’il a peut-être la chance d’élucider le mystère du tournant de sa jeune vie.
Il reprend donc son existence de lycéen dans ce bled de Savoie, près d’un lac et entouré de montagnes avec tous ses avantages et désavantages. Si les compositions de latin ne sont plus tellement de son goût, il sait tout de même séduire la fille qu’il a toujours aimé en secret et dont il a fait l’héroïne de ses bandes-dessinées. Et surtout, il tente de s’approcher de son père, de comprendre ce qui le poussera à abandonner sa famille et d’anticiper, voire même d’annuler ce geste qui le hante depuis presque toute sa vie. Mais les choses ne vont pas se passer comme le spectateur pourrait l’attendre.
« Quartier Lointain » est un film à plusieurs particularités : primo, c’est l’adaptation française d’un manga qui se déroule en France. En effet, les livres de Jîro Taniguchi sont beaucoup plus connus en Occident qu’en son pays d’origine, le Japon, où l’auteur – de par son style très européen – ne semble pas être perçu comme un grand prophète. Malgré cela, l’histoire en soi et les conclusions à en tirer ne sont pas typiquement occidentales – un petit peu d’Orient est resté dans le fond narratif du film, ce qui fait de lui un gentil ovni du cinéma français. Car, « Quartier Lointain » est tout sauf un « feel-good-movie » franchouillard comme on a pu en voir des tonnes ces dernières années. Au contraire, il pourrait se jouer dans n’importe quel autre pays, car c’est l’histoire et surtout la narration calme mais continue, très proche du format original de la bande dessinée, qui font le charme du film de Gabarski. A voir absolument.
A l’Utopia.