L’étude Pisa 2009 n’est guère flatteuse pour le système scolaire luxembourgeois. Mais au lieu de se demander si nous sommes vraiment aussi nuls que l’OCDE l’entend, il faut aussi se demander ce que vaut Pisa.
Tous les quatre ans, les athlètes du monde entier se mesurent les uns aux autres dans une orgie mondiale d’efforts humains appelée Jeux olympiques. Depuis l’an 2000, une nouvelle tradition sportive a été inaugurée. Elle ne vient pas du mont Olympe, mais l’acronyme fait penser à Pise, ville réputée mondialement pour sa tour. « Pisa » (Programme for international student assessment) compare tous les trois ans les systèmes éducatifs des pays membres de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique). Dans la foulée, elle instaure un palmarès qui fait frémir les « cancres » et rugir de satisfaction les « champions ». Pourtant, si la tour de Pise est un des monuments les plus reproduits au monde, elle n’en est pas moins une erreur architecturale.
Ce mardi donc, l’opinion publique a pu découvrir les résultats de la compétition Pisa. Et les Luxembourgeois de s’interroger : leur pays va-t-il, à nouveau, « échouer » ? Installés dans une grande salle de conférence du lycée Aline Mayrisch, tous sont présents : les experts qui ont mené l’étude au Luxembourg, le premier conseiller de gouvernement du ministère de l’éducation, Michel Lanners, et, évidemment la ministre elle-même, Mady Delvaux-Stehres (LSAP). Il faudra attendre les démonstrations à l’aide d’un slide show afin que la principale responsable de l’éducation nationale puisse prendre la parole au point « Conclusion ». « Les résultats de cette étude sont tout aussi nouveaux pour moi, car l’embargo me concernait également », dit-elle en guise d’introduction.
La procédure est-elle honnête ? Une étude internationale réputée sérieuse, sanctionnée par le sceau d’une expertise prétendument infaillible, des chiffres en-veux-tu-en-voilà, des graphiques à perte d’haleine et une ministre qui est sommée de conclure devant la presse nationale réunie ? sans avoir eu le temps d’analyser ces résultats avec le recul qui conviendrait. Le totalitarisme de l’expertise envoûte tout le monde. Encore faut-il savoir s’en émanciper.
D’autant plus que les analyses confortent le préjugé vieux de plusieurs millénaires et que chaque génération transmet à l’autre telle une maladie vénérienne : les jeunes d’aujourd’hui sont forcément nuls. Contrairement à la génération précédente qui n’aurait produit que des prix Nobel en puissance, évidemment.
Bref, aussi bien que les experts « pisesques » de l’OCDE ne laissent aucun répit aux gouvernants ? cui bono ? ? ils n’en laissent pas plus aux journalistes piégés dans les contingences matérielles, qui, quoi qu’on en dise, ne leur laissent que rarement le temps du débroussaillage d’études touffues et encore moins de la réflexion.
La tour de Pise : cette char-mante erreur architecturale
Les graphiques peuvent faire peur, surtout au Luxembourg. A nouveau, notre grand-duché n’arrive à rejoindre le peloton de tête dans aucune des trois compétences disciplinaires testées par Pisa : les compétences de lecture, les compétences mathématiques et les compétences en sciences naturelles. Avec 472 points en lecture, nous nous situons à 21 points en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE, entre Israël et l’Autriche. Le score est un peu moins grave dans les sciences naturelles (484 points, 17 en-deçà de la moyenne) et encore moins en mathématiques (489 points, seulement sept points en-deçà de la moyenne). Le classement est un exercice cruel : dix points de plus et nous aurions, du moins en lecture, dépassé la moyenne. Car selon Julien Grenet, chercheur en économie à la London School of Economics, la marge d’erreur du calcul des moyennes se situe aux alentours de cinq points. Le différentiel peut donc aller jusqu’à dix points, ce qui peut avoir des conséquences importantes dans le classement des pays et changer complètement la donne.
Mais le principe de classement opéré par Pisa est doublement problématique. Non seulement compare-t-il des pays aux systèmes scolaires et aux valeurs culturelles aussi différents que la Corée du Sud, Hong Kong, l’Azerbaïdjan la Suisse ou les Etats-Unis. Le problème avec les classements, c’est que quelle que soit la qualité d’un résultat, il y aura toujours un dernier et un premier. L’on peut en principe se retrouver le dernier parmi très bons candidats.
L’autre problème du classement, c’est qu’il entérine le principe de compétition entre les nations (valeur chère à l’OCDE), mais qu’il constitue un instrument de pression extrêmement efficace sur les gouvernements. C’est l’avis que partage d’ailleurs Patrick Arendt, président du SEW, syndicat des enseignants de l’OGBL : « Nous sommes très sceptiques par rapport à cette étude: Pisa est un instrument très puissant de l’OCDE afin d’influencer les systèmes éducatifs des pays. Et nous savons bien que l’OCDE poursuit des buts très concrets en matière de réformes économiques. Or, à nos yeux, l’école doit surtout assurer la cohésion sociale et non pas se plier aux impératifs économiques ». Selon une étude de Nathalie Bulle, chercheuse au CNRS (Centre national de recherche scientifique en France), « l’enquête n’a pas pour objet premier de servir les buts de l’école. Elle viserait à encourager l’esprit de compétition au service du développement des politiques néolibérales favorisées par l’OCDE ».
Le serpent se mord la queue. Si l’un des mérites de l’étude peut être celui de porter l’attention sur les inégalités sociales du Luxembourg (les résultats sont ventilés en fonction des origines sociales, ethniques et du genre), il ne faut pas négliger la vue d’ensemble sur l’oeuvre de l’OCDE. Ce principal organisme d’inspiration néolibérale n’est pas avare en « recommandations » dans d’autres domaines, notamment concernant la politique économique et la politique de l’emploi, rappelant sans cesse la nécessité d’abaisser les coûts salariaux afin de renforcer la compétitivité.
D’ailleurs, il est intéressant de constater quels pays se situent dans le peloton de tête du classement où les pays d’Asie orientale tiennent le haut du pavé : la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour ou Taïwan et bien sûr la ville de Shanghai. Or, si les systèmes éducatifs de ces pays varient quelque peu les uns des autres, ils en partagent les mêmes principes : concurrence et sélectivité exacerbée. Au Japon et en Corée du Sud, l’offre supplémentaire très onéreuse de cours privés représente même un complément scolaire considéré plus important par les parents que le système public. Sans oublier qu’après tout, ces pays ne sont pas les champions en matière de libertés publiques, mais excellent dans des rythmes de travail exténuants.
Les tigres asiatiques en exemple ?
Ce qui n’apparaît pas forcément dans le discours public relayé par les grands médias, c’est que Pisa ne juge pas les élèves, mais les systèmes éducatifs en fonction de critères et de buts arbitrairement définis : « Le but n’est pas d’évaluer la maîtrise des différentes matières qui figurent dans les programmes scolaires nationaux, mais de vérifier si les élèves sont capables, à la fin de leur obligation scolaire, d’appliquer leurs acquis dans un contexte proche de la réalité quotidienne ». La « réalité quotidienne » – Pisa n’en donne pas sa définition – érigée en alpha et omega du système éducatif ? « Le fait qu’un tel esprit de compétition soit développé autour d’aptitudes à faire face aux situations de la vie quotidienne est néanmoins lourd de significations », objecte Nathalie Bulle.
Une des principales faiblesses de l’étude régulièrement soulignée par les sceptiques réside dans l’échantillon d’élèves testé-e-s. Le critère n’est en effet pas une classe, mais l’âge fixé à 15 ans. Si ce critère relève d’un côté d’une approche pragmatique – la diversité des cohortes scolaires des pays analysés et le fait que la limite de l’obligation scolaire se situe plus ou moins à cet âge. Or, comme le souligne l’économiste Julien Grenet, « on aurait tort en particulier de croire que la population scolaire des élèves de 15 ans est homogène dans tous les pays : les règles qui régissent la définition des cohortes scolaires, l’orientation scolaire et la pratique du redoublement expliquent que la ventilation de cette population entre les différents niveaux d’enseignement varie énormément d’un pays à l’autre. » Il n’est donc pas étonnant que les systèmes scolaires pratiquant le redoublement se trouvent particulièrement mal jugés par Pisa – ce que Delvaux-Stehres n’a pas omis de soulever. En effet, les redoublants sont plus souvent victimes d’un manque d’appréciation et font preuve de moins de motivation.
Si une mauvaise évaluation par l’étude Pisa ne constitue pas forcément une indication qu’un système éducatif serait déficitaire, cela ne veut pas non plus dire que ce système ne serait pas critiquable. Le problème, c’est qu’un mauvais résultat constitue du bain béni pour toute formation critique à l’égard du gouvernement. Ainsi, aussi bien les Verts que l’ADR, pourtant aux antipodes concernant leur politique d’éducation, ont immédiatement attaqué la politique d’éducation de la ministre, sans pour autant émettre le moindre doute quant à la validité et les finalités de l’étude. Parallèlement, la ministre voit son action confirmée par l’étude, étant donné que les élèves du Proci (Projet cycle inférieur dans l’EST) se seraient montrés particulièrement efficaces. Quant à ceux qui doutent tout aussi bien de l’étude que de la politique gouvernementale, à l’instar de Patrick Arendt, la réflexion plus nuancée se perd dans le matraquage statistique de l’étude : « Nous avons besoin de réformes de l’école, mais pas de celles inspirées par l’OCDE, comme par exemple l’enseignement par compétences dont la logique s’en inspire ». Il admet cependant que l’étude a au moins le mérite de soulever à nouveau le problème de la reproduction des inégalités sociales que le système luxembourgeois engendre. Interrogé par le woxx sur la question de l’introduction d’un système de tronc commun, il donne une réponse désillusionnée : « Bien sûr que cette réforme serait particulièrement salutaire. Mais elle est considérée comme un tabou politique par le ministère ». Et elle n’entre probablement pas dans le champ de vision idéologique de l’OCDE.
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