ÉGYPTE: Le vrai « regime change »

Considéré comme rétrograde et « génétiquement » incompatible avec la démocratie, le monde arabe s’émancipe tout seul, sans l’Occident et donne une leçon de civilisation au monde.

Il faut l’avouer. Jusqu’à peu, le monde arabe ne se plaçait pas en tête des régions du monde d’où l’on pouvait s’attendre à de profonds changements populaires et démocratiques. La redoutable efficacité des dictatures soutenues par les grandes puissances pour des raisons d’une importance géostratégique des plus éminentes – alors qu’elles alimentaient l’islam politique plus qu’elles ne l’endiguaient – et le sous-développement économique pouvaient laisser croire que l’étouffement de la société civile interdirait pour longtemps encore toute bonne nouvelle. En bon marxiste, l’on pouvait avoir tendance à estimer que les « conditions objectives » n’étaient pas encore réunies. Marx lui-même excluait, au nom de ces conditions, toute révolution en Russie. Les révolutions surprennent souvent les révolutionnaires.

C’est donc une bonne leçon que les Arabes, en commençant par la Tunisie, maintenant l’Egypte, et (encore) en moindre mesure, la Jordanie ou le Yémen, donnent au reste du monde. Et tout particulièrement aux Occidentaux. Et ce n’est pas n’importe quelle leçon : une leçon de démocratie.

Cela ne fait même pas encore dix ans que le gouvernement américain, relayé par certains alliés européens, propageait l’idée d’un « regime change ». Ces esprits simples pensaient même en avoir trouvé la formule : la guerre et les bombes qui feraient chuter la dictature irakienne, prélude à la démocratisation de toute la région. Entre-temps, l’Irak est toujours un champ de bataille et l’Afghanistan un bourbier que les troupes de l’Otan devront quitter un jour ou l’autre la queue entre les jambes.

Mais le véritable changement de régime est en train de se produire et ce de la manière que la plupart des progressistes préconisaient : par le bas, par la seule volonté populaire, sans ingérence étrangère aux intérêts ambigus. Si la défaite idéologique des néo-conservateurs est consommée, c’est toute la politique occidentale envers le monde arabe qui se prend une claque cinglante. Les dirigeants américains devraient commencer à réfléchir : non seulement la démocratie dans le monde arabe avance sans eux, sans leur « aide », mais elle le fait contre eux, contre leur politique étrangère, contre leurs intérêts. C’est aussi une manière pour le monde de commencer à s’émanciper de la tutelle d’un empire sur le déclin.

La révolution égyptienne en cours lance aussi un coup de projecteur sur le voisin israélien. Il est intéressant de noter que l’Etat hébreu, souvent qualifié de « seule démocratie » de la région (alors bien que le Liban et la Palestine, malgré de fortes imperfections, occupations et guerres obligent, ne sont pas des dictatures), ne se montre pas des plus enthousiastes envers la volonté démocratique des voisins arabes. L’on aurait attendu une autre attitude de la part du donneur de leçons démocratiques.

S’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, ce mouvement peut contenir dans ses germes un espoir pour les peuples israéliens et palestiniens. Si une véritable démocratie venait à s’installer dans le monde arabe, si les gouvernements représentaient plus fidèlement les volontés populaires, les Palestiniens pourraient enfin disposer d’alliés plus fidèles et les gouvernements israéliens devraient changer de comportement : négocier sérieusement, tenir leurs engagements et cesser les interventions militaires. Quoi qu’on en dise, les peuples arabes, s’ils se sentent solidaires de la cause palestinienne, ne rêvent pas pour autant de l’anéantissement parfois fantasmé d’Israël et de ses habitants.

Finalement, l’on peut espérer que l’image déformée qu’un grand nombre d’Occidentaux ont des Arabes et même de l’islam pourra changer. Pour beaucoup d’Européens, le monde arabe se déclinait jusqu’à présent en trois temps : tourisme et stations balnéaires, guerre et terrorisme, immigration et criminalité. N’en déplaise aux Geert Wilders, Thilo Sarrazin et autres partageant leur morgue et leur inculture, les Arabes inaugurent l’année 2011 avec un concept dont les Européens pensent avoir le monopole et qu’ils oublient parfois : la civilisation.


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