L’afflux de milliers de réfugiés tunisiens vers l’Union européenne n’est que l’envers de la medaille de sa politique de complaisance envers des régimes dictatoriaux et corrompus.
« On ne peut pas se réjouir du mouvement démocratique tunisien et ensuite en combattre les conséquences avec des moyens policiers. » Cette phrase de Karl Kopp, l’expert pour les affaires européennes de l’organisation allemande « Pro Asyl », résume assez bien la vague migratoire depuis la Tunisie vers l’île italienne de Lampedusa. Située à équidistance entre les côtes siciliennes et tunisiennes, cette minuscule île de l’archipel des Pélages est une habituée de l’arrivée de candidats africains pour un avenir européen qu’ils espèrent meilleur. Dorénavant, elle représente également les incohérences de la politique européenne aussi bien en matière de gestion des flux migratoires que ses coupables errements en matière de coopération économique, politique et diplomatique avec ses voisins de l’autre rive méditerranéenne.
Pour revenir à Kopp, l’on peut s’étonner de la « surprise » de l’Union et des autorités italiennes face à cet afflux qui compte plus de 5.000 migrants. Sous la férule du dictateur Ben Ali, ces départs étaient strictement surveillés et rendus bien plus compliqués. Avec la chute du régime et la phase de transition politique qui en découle (n’oublions pas que même les forces de l’ordre tunisiennes sont traversées par des mouvements de grève), les frontières ont perdu en étanchéité. Tout cela était prévisible, à moins que l’on ne s’imaginât que la liberté d’expression et la démocratisation ne fût l’unique objet de contestation du mouvement de janvier. Ce serait oublier que le principal déclencheur, dont l’immolation d’un chômeur à Sidi Bouzid était l’image tragique, émanait de la détresse économique et sociale.
La Tunisie n’est pas encore sortie du marasme économique et nombre de jeunes Tunisiens n’ont pas envie d’attendre des années de plus pour enfin pouvoir espérer un minimum de confort. A tort ou à raison, l’Europe est encore considéré comme un eldorado. Mais voilà, durant des années, les gouvernants européens français mais aussi luxembourgeois, n’hésitaient pas à donner de la Tunisie une image d’eldorado du Maghreb, vantant le caractère progressiste du statut de la personne hérité de l‘ « autocrate éclairé » Habib Bourguiba, mais véhiculant au même moment l’illusion d’un miracle économique dont profitaient principalement les sociétés de sous-traitance européennes ou les chaînes de supermarchés françaises. Quant à la supposée menace islamiste, elle a servi de diable de confort au régime et à son soutien européen pour justifier les pires dérives. L’on récolte ce que l’on sème, et les flux de réfugiés économiques en partance pour l’Europe sont aussi les fruits de la complaisance de nos gouvernements envers des cleptocraties pro-occidentales.
Et voilà qu’à l’instar d’une Grèce débordée, c’est l’Italie qui accueille ces arrivants. Accueille ? Selon l’avocate Paola La Rosa, qui vit à Lampedusa et milite en faveur des réfugiés, le chaos fut prémédité. Le ministre de l’Intérieur italien, le « léguiste » Roberto Maroni, aurait ordonné d’interdire aux réfugiés l’accès des centres d’accueil sur l’île. Ceux-ci seraient actuellement vides, alors que les émigrés s’entassent dans les rues, des hôtels ou des maisons de retraite. Cela illustre aussi l’absurdité de la politique d’asile européenne incarnée par l’accord « Dublin II », qui prévoit le renvoi d’un demandeur d’asile vers le premier Etat membre de l’UE où il est arrivé, ce qui provoque un fort déséquilibre entre les Etats du Sud, premiers accueillants, et ceux du Centre et du Nord. Déjà, certaines voix en Europe s’élèvent pour réclamer un renforcement du système Frontex, « muraille » policière européenne. Cela fait bondir les organisations humanitaires qui pointent du doigt ce système profondément inhumain, coûteux et irrationnel. La Grèce quant à elle menace tout simplement de construire un mur le long de sa frontière avec la Turquie, à l’image de celui qui sépare les USA du Mexique. Mais si l’Europe ne veut pas « accueillir toute la misère du monde », il faudrait qu’elle commence par cesser de la produire.