CENTRE DE RÉTENTION: Ne l’appelez surtout pas « prison »

La semaine prochaine, le projet de loi régulant notamment le séjour en centre de rétention sera soumis au vote de la Chambre. Mais la commission parlementaire n’a guère donné suite aux recommandations des ONG.

Une construction triste pour accueillir des gens à l’avenir peu réjouissant : au centre de rétention, les choses ont le mérite d’être claires.

« Un centre de rétention n’est pas un centre pénitentiaire. On ne va pas enlever aux retenus leur liberté comme forme de punition, parce qu’ils ont commis une infraction. On n’est pas confronté à des détenus, mais à des retenus. En anglais, il n’y a d’ailleurs pas de différence qui est faite entre `détenu‘ et `retenu‘. Là, on parle dans les deux cas de `detention center‘. La nuance, la petite différence, existe seulement en français. » Cette phrase est issue d’un entretien mené par le mensuel Forum du mois de mars 2008 avec le futur directeur du centre de rétention, le psychologue Fari Khabirpour. Entre-temps, ce qui n’est pas censé être une prison pour déboutés du droit d’asile et candidats au retour dans leur pays d’origine, a été construit dans la localité du Findel, à proximité de l’aéroport, et le projet de loi modifiant la loi sur la libre circulation des personnes et du droit d’asile, sera débattu et probablement adopté à la Chambre le 9 juin.

S’ensuit un échange avec l’intervieweur incrédule, Serge Kollwelter, sur les possibles définitions linguistiques que l’on peut donner à un tel centre. Exemple : les Allemands n’utiliseraient plus le terme d’« Ab-schiebehaft », mal « connoté », et lui préfèreraient « Ausreiseeinrichtung ». L’humanité a toujours excellé dans sa capacité à inventer des nouveaux termes afin d’en atténuer la signification réelle. Le champ lexical de l’hypocrisie est inépuisable. Il n’en reste pas moins que prochainement, le Luxembourg aura son propre centre fermé qui jusqu’à présent se situait dans l’enceinte du centre péniten-tiaire. A l’avenir, tout ira mieux : les déboutés du droit d’asile auront de nouveaux murs pour apprécier leur enfermement forcé avant d’être reconduits contre leur gré vers un destin improbable par une Union européenne démographiquement vieillissante.

L’obsession de l’Union européenne et des gouvernements de ses Etats membres de vouloir réguler des flux migratoires somme toute modestes par rapport à d’autres régions du monde moins développées (la seule région de Tataouine en Tunisie accueille plus de 45.000 réfugiés libyens, soit environ le nombre de réfugiés qui ont accosté au large de Lampedusa) les conduit ainsi à trouver des solutions « humaines » pour un rapatriement dont personne ne sortira vainqueur. L’exemple de la Serbie reste en ce sens flagrant. En opposition à plusieurs instances européennes ou onusiennes, le premier ministre Jean-Claude Juncker avait décrété, il y a peu, à la tribune de la Chambre des députés, que l’ancienne république yougoslave était un « pays sûr ». Bien que de nombreux rapports témoignent de la maltraitance à l’égard des Roms – et pas uniquement en Serbie – ces derniers devront y retourner.

Les mots changent, la réalité persiste

Les auteurs du projet de loi se félicitent de leur magnanimité car ils ont limité la durée maximale de rétention à six mois au lieu des 18 que la directive européenne permet, tout en ouvrant la possibilité d’y raccorder à deux reprises un mois supplémentaire en cas de non coopération du pays d’origine. Mais cette satisfaction n’est pas partagée par tous. Le Haut commissariat des Nations unies dit regretter cet allongement et plaide en faveur d’alternatives à la rétention. Mais pour l’instant, le projet ne prévoit qu’une seule alternative : l’assignation à résidence, ce qui, selon le Collectif réfugiés (LFR), « n’est pas suffisant » et propose dans la foulée toute une série d’alternatives telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie bancaire, la remise de documents, le placement dans un centre ouvert ou un centre semi-fermé. Il semble toutefois que ces propositions n’aient pas vraiment convaincu la majorité des membres de la commission parlementaire. Le rapport final du document parlementaire affirme pour sa part « qu’il ne convient pas de procéder à leur multiplication (des mesures alternatives, ndla) de façon précipitée et incontrôlée », avant de tenter de dépasser sur leur gauche les ONG, arguant notamment que la proposition d’une garantie bancaire serait « injuste et discriminatoire ». Idem pour le bracelet électronique, dont on ne sait pourtant si cette proposition a été formulée par les ONG, où la rapporteuse du texte, la députée socialiste Lydie Err, met en garde que, selon certains pays, cet instrument relève du domaine pénal et son port serait contraire au principe de la dignité humaine. Mais d’une manière générale, la commission rejoint le Conseil d’Etat qui estime que l’assignement à résidence comporte en lui-même un certain nombre d’obligations qui intègrent une partie des mesures alternatives.

Par contre, là où la commission peine à se justifier de manière compréhensible, c’est sur la question de l’observation lors de la procédure d’éloignement (traduisez par « refoulement ») : « La revendication d’une observation plus complète est compréhensible, mais difficile à mettre en oeuvre. Les personnes étant transférées vers l’aéroport dans un véhicule de police, la présence d’observateurs est difficile ». Le différend qui oppose ONG et législateur repose sur la définition du trajet lors duquel un observateur peut être présent afin de veiller à ce qu’une certaine « proportionnalité » des moyens mis en oeuvre par les forces de l’ordre soit respectée. Aux yeux de la majorité parlementaire, cet accompagnement devrait avoir lieu à partir du départ de l’aéroport jusqu’à l’arrivée à destination ». Or, les ONG estiment qu’un observateur indépendant devrait également être présent lors du transfert vers l’aéroport. Ce n’est pas par hasard, car un certain nombre de transferts ne se sont pas toujours déroulés d’une manière très pacifique (entre un fonctionnaire qui ne fait que son travail et un débouté qui risque son existence) : « L’expérience a montré en effet que des actes d’intimidation de la part des forces de l’ordre ont pu se produire dans les fourgons de police dans les instants qui ont précédé l’arrivée à l’aéroport, à la faveur de l’absence de témoins ». Pour autant, l’on se demande où réside la difficulté d’octroyer un observateur lors d’un déplacement en voiture de police.

Circulez, y’a rien à voir !

Mais dans un tout autre registre, la commission évoque, en signalant qu’il faille en tenir compte, des considérations du Conseil d’Etat qui doute tout simplement de la pertinence de réglementer les modalités du renvoi, arguant que celles-ci doivent « résulter de la législation générale applicable aux forces de l’ordre » et en se référant à l’article 257 du Code pénal réprimant la violence dont aurait usé « sans motif » un agent de la police. Quant à la revendication de la Commission consultative des droits de l’Homme de régulariser les demandeurs déboutés depuis un certain temps, la commission se cache derrière le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui ne permet que des régularisations au cas par cas, tout en renvoyant à la loi sur la libre circulation de 2008 qui octroie au ministre un pouvoir discrétionnaire pour régulariser de manière individuelle. Or, rien n’empêcherait le gouvernement à régulariser de manière volontariste « collectivement », par le biais des régularisations individuelles.

La pression des ONG a toutefois porté ses fruits sur un point : la rétention des mineurs non accompagnés. L’article 120 du projet de loi prévoit que « le mineur non accompagné peut être placé en rétention dans un lieu approprié adapté aux besoins de son âge » et qu’il serait tenu compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Par contre, la commission a rejeté la proposition d’instaurer un « mécanisme d’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant », arguant que les compétences de l’Ombuds-Comité fir d’Rechter vum Kand s’étendent à tous les mineurs qui se trouvent sur le territoire national. Mais si le centre de rétention n’est pas une prison, pourquoi préférer ne pas y placer un mineur ? Peut-être faudrait-il revenir à l’interview de Fari Khabirpour, où il fait part de cette réflexion troublante : « Dans l’absolu, il faut cependant bien distinguer entre détention et rétention. L’un n’a en principe rien à voir avec l’autre. Sinon, la société considère les demandeurs d’asile presque comme des criminels. C’est une question très politique et publique. Il faut en finir avec ces préjugés. Les retenus sont des personnes dans la misère et la plupart du temps pas des criminels, même s’ils tentent parfois par tous les moyens (en racontant des mensonges) de nous persuader pour obtenir le statut de réfugié ».

Pendant ce temps, l’Union européenne continue à se raconter des mensonges en agitant l’épouvantail d’une immigration massive fantasmée. Et de la combattre comme un Don Quichotte cruel.


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