LARS VON TRIER: « Life on Earth is Evil »

Avec « Melancholia », le réalisateur danois Lars von Trier signe une consécration cinématographique à la dépression. Ou : ce qui arrivera le jour où les dépressifs auront eu raison.

Rien ne sert de courir, quand le malheur est planétaire.

« La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste », écrivait jadis le poète Victor Hugo. Et bien, après avoir visionné le dernier film en date de Lars von Trier, on pensera que l’écrivain français le plus connu du 19e siècle était un peu léger, voire même superficiel. En d’autres mots : Hugo a tout faux. La mélancolie – dont l’étymologie grecque renvoie à la notion de « bile noire » – est tout sauf un bonheur, c’est l’acceptation du malheur qui peut à la limite être vécue comme un soulagement, mais qui laisse un arrière-goût amer de cendres, celui d’une bataille, d’une guerre intérieure même, perdue à tout jamais. Etre mélancolique, c’est se balader sur un champ de bataille d’une armée intérieure défaite à tout jamais – sans qu’on puisse vouloir se venger ou penser à recoller les morceaux. En termes de psychiatrie, cela devient un « état de dépression intense, vécu avec un sentiment de douleur morale, et caractérisée par l’inhibition des fonctions psychomotrices et la recherche de la mort », selon la définition du Larousse.

C’est cette sorte de dépression dont souffre la jeune Justine et qui fait sa réapparition le soir même de son mariage. Célébrée en grandes pompes dans le château où habitent sa soeur Claire, son beau-frère John et Leo, son neveu, la cérémonie commence déjà par un mauvais présage : la limousine des mariés est trop longue et reste bloquée sur la route campagnarde étroite. Image symbolique forte, qui donne un avant-goût de tout ce qui va se passer encore dans cette nuit : tout est trop grand, trop beau et trop parfait pour Justine. Cela ne correspond pas à la noirceur qu’elle porte en son for intérieur et ce déséquilibre va faire exploser son mariage avant que le soleil ne se lève. Certes, les autres membres de la famille, surtout la mère neurasthénique à souhait, ou John qui pensait vraiment pouvoir chasser la dépression de sa belle-soeur en dépensant sans compter pour lui offrir un mariage de rêve. Dans cette première partie du film, intitulé « Justine », de vieilles réminiscences du cinéma « Dogma » remontent à la surface. On pense notamment à « Festen » de Thomas Vinterberg.

Pourtant, Lars von Trier va infiniment plus loin dans la recherche d’une mise en images d’un sentiment qui semble hanter le réalisateur depuis ses débuts. Cela se miroite dans la dualité entre Justine et Claire, qui ne pourraient pas être plus différentes. Tout de même, elles vont toutes les deux être confrontées à la mélancolie. Mais tandis que pour Justine, celle-ci était intérieure, la mélancolie que doit affronter Claire – et par-dessus le marché le reste de l’humanité – est extérieure et encore plus énorme : c’est « Melancholia » une gigantesque planète bleue, non découverte jusqu’au moment où les scientifiques se sont rendus compte qu’elle se déplaçait à 60.000 km/h en direction Terre. Même si elle ne devrait pas impacter notre planète, les deux soeurs et John se préparent à leur façon à la fin du monde : la peur, la résignation dans la fatalité et les mensonges font leur apparition. Tandis que Claire ne redoute rien de plus que la possibilité de l’apocalypse, Justine devient d’un calme implacable et abandonne les signes extérieurs de sa dépression.

Pour « Melancholia », von Trier a joué sur tous les registres et emprunté aux meilleurs réalisateurs pour composer une oeuvre unique et tragique, qui restera certainement gravée dans l’histoire du cinéma. Porté par des acteurs authentiques et intenses, qui ne surjouent à aucun instant, « Melancholia » fait froid dans le dos, mais c’est un froid familier qu’on ressent. C’est à cela qu’on reconnaît les chefs d’oeuvres.

A l’Utopia et au Cinébelval.


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