GUERRE SCOLAIRE: L’occasion manquée

Beaucoup d’enseignant-e-s progressistes attendaient d’une ministre socialiste une réforme de l’école qui mettrait fin au système élitaire et ségrégationniste. Elle a déçu leurs attentes et se retrouve bien isolée.

Depuis 2004, la ministre de l’éducation s’est attelée à chambouler le système scolaire du bas vers le haut et de gauche à droite. Un système scolaire que beaucoup d’élèves, de parents et d’enseignants s’accordaient, avant 2004, à qualifier de dépassé. Mais les critiques n’étaient jamais unanimes. Les profs les plus progressistes rêvaient d’une refonte globale de l’école vers un système plus égalitaire et plus humaniste. D’autres, plus blasés, ne se posaient pas trop de questions, estimant que si le système avait jusqu’à présent « fonctionné », il n’y aurait aucune raison de le modifier. Finalement, les plus réacs, appliquant leur idéal sociétal à l’école, exécraient le système qu’ils considéraient comme trop laxiste, passant leur temps à se lamenter des « fonctionnaires » qui n’auraient rien compris, des parents qui seraient incapables de comprendre et qui forcément, transmettaient leur virus de nullité à leurs rejetons.

Les réformes du ministère sont critiquables à plusieurs égards – aussi bien dans la mise en oeuvre que dans les objectifs poursuivis – et nous ne nous sommes pas privés de l’exprimer à de multiples reprises (voir l’édito de la semaine dernière). Pour autant, toutes les critiques ne sont pas de même nature. Aussi est-il impossible de mettre l’ensemble des opposants à la politique du ministère dans le même sac. Car à en entendre certains, l’on croirait que le système antérieur à la réforme constituait la panacée. Et ils y vont allègrement : qui de regretter l’abolition de l’examen d’admission au secondaire, qui encore de regretter les vertus du redoublement. C’était mieux avant.

Parmi ces nostalgiques d’un système aussi élitaire qu’inefficace, combien se posent la question de savoir quelles conséquences il pouvait avoir sur l’avenir des élèves ? Combien se posent la question de savoir pourquoi, à l’école primaire, les élèves des classes supérieures ou moyennes côtoyaient des enfants d’ouvriers, combien de petits Luxembourgeois jouaient avec des petits Italiens, Portugais ou Capverdiens dans la même cour d’école avant d’être sagement séparés à leur entrée au secondaire dont la composition des classes ne reflétait plus la réalité sociologique du pays ? Et l’on regrette qu’une réforme essentielle, celle du tronc commun, qui contribuerait à mettre fin à l’apartheid scolaire, passe à nouveau à la trappe.

S’il est injuste et primaire de qualifier les enseignants de feignasses (leur métier est vraiment exigeant), les élèves aussi ont droit à une école qui ne juge pas que négativement, qui ne les mette pas en concurrence et qui leur propose d’autres horizons que la rigidité autoritaire et magistrale. Surtout, une école qui accepte qu’eux aussi puissent être imparfaits et ne fassent pas forcément preuve d’un enthousiasme quotidien face, par exemple, à la perspective d’un cours d’histoire génial dont l’essence constituera de souligner pendant une heure dans le manuel scolaire les passages à bûcher. Mais l’on a parfois le sentiment que c’est ce qu’attendent d’eux aussi bien les enseignants « tradis » que le ministère.

L’on peut comprendre, pour différentes raisons, l’alliance tactique qui unit des syndicats d’enseignants progressistes (comme le SEW) à une Apess rétrograde et une CGFP corporatiste. Mais il subsiste un arrière-goût désagréable. De l’autre côté, l’on regrettera qu’une ministre socialiste ait entamé une vaste réforme en se mettant à dos tout le monde (ou presque) et ait contribué à engendrer de tels rapprochements qui sèment le trouble parmi celles et ceux qui voulaient une grande réforme sans pour autant se reconnaître dans celles qui sont actuellement mises en oeuvre.

Cela est lié au contenu des réformes : tandis que les plus rétrogrades n’envisagent pas qu’une école à l’ancienne soit amenée à disparaître, les plus progressistes ne se retrouvent pas dans la vision utilitariste et mercato-compatible. Une réforme scolaire ne peut se faire sans heurts, ne peut contenter tout le monde. Raison de plus de bien préparer ses alliances avant de se lancer dans la bataille afin d’entamer une réforme franchement progressiste. Mais cette occasion-là, la ministre l’a manquée.


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