L’ultimatum des syndicats a provoqué l’annulation de la tripartite, remplacée par un simple conseil de gouvernement. L’apparente futilité de la manoeuvre syndicale recèle pourtant des subtilités tactiques et stratégiques.
« Je n’ai pas envie de continuer à perdre du temps » et « Les positions du patronat sont excessives et ne permettent pas le dialogue », voilà les raisons données par Jean-Claude Reding (OGBL) et Romain Wolff (CGFP) pour justifier l’ultimatum lancé à l’Union des entreprises luxembourgeoises mardi dernier. Depuis, cela a conduit à l’annulation de la tripartite, puisque l’UEL a refusé de se plier, exliquant que les positions incriminées étaient connues depuis longtemps.
Disons le franchement, dans la réaction extrême des syndicats il y a une part d’hystérie et d’hypocrisie. Certes, les positions patronales ne sont pas précisément conciliantes. Mais cela est de bonne guerre et ne justifie pas vraiment la rupture des négociations.
Alors, qu’est-ce qui a poussé les syndicats à marquer le coup de cette manière ? Théoriquement, l’ultimatum aurait pu amener le patronat à faire marche arrière, ou, à défaut, entraîner le gouvernement à dénoncer à son tour l’attitude patronale. En pratique, il y avait peu de chances qu’il provoque autre chose qu’une annulation pure et simple de la tripartite.
Peut-être était-ce l’un des buts recherchés. On notera que le recours au gros bâton que constitue l’ultimatum s’accompagne de paroles relativement douces : les syndicats ne refusent plus le principe d’une modulation de l’indexation jusqu’à la fin 2014, mais exigent des contreparties. D’une part, ils demandent « un engagement clair du gouvernement en faveur du maintien du système d’indexation », d’autre part, ils lui soumettent une liste de « mesures sociales et fiscales ». De fait, pour sa « monopartite » de vendredi, le gouvernement a le feu vert côté indexation et l’embarras du choix pour les mesures compensatoires. Cela ressemble un peu au scénario de 2010, quand l’échec de la tripartite avait été suivi par des négociations bilatérales pour amadouer et les syndicats et le patronat.
L’avantage pour les syndicats sera de ne pas devoir assumer les concessions faites, tout en obtenant des compensations par après. Leur problème sera que la marge de manoeuvre financière du gouvernement apparaît assez réduite. Cela pourrait amener le CSV à adopter une posture intransigeante, acculant les ministres socialistes une nouvelle fois à un cruel dilemme : rompre avec les chrétiens-sociaux ou s’entredéchirer au sein du LSAP. Cependant, les conséquences d’un tel scénario sont imprévisibles pour l’ensemble des acteurs.
Au-delà de ces considérations d’ordre tactique, le choix d’un ultimatum collectif et public reflète aussi les options stratégiques prises par Jean-Claude Reding. Face à la menace d’un démantèlement social, le président de l’OGBL s’est employé depuis des années à forger un front syndical englobant notamment la CGFP. Et dès avril 2010, il a innové en convoquant une conférence de presse sur les négociations tripartites en cours. Prendre à témoin l’opinion publique face au démantèlement social envisagé par le patronat et le ministre des finances avait cette fois-là réussi partiellement.
Le problème c’est que, pour s’adresser au grand public, il faut un message clair. Or la discussion sur l’indexation est assez technique, et de plus les concessions annoncées mardi dernier brouillent la transmission. Une autre partie du message véhiculé est cependant très claire : les syndicats défendent les intérêts des « gens » contre les patrons et les « riches ». Une formule idéalisant le rôle des syndicats, mais qui passe bien en temps de crise. Et qui sert les desseins de Jean-Claude Reding : il sera en effet difficile pour ses deux partenaires stratégiques, la CGFP et le LSAP, de se démarquer de ce principe.