ECOLE: Commencer par le début

Depuis longtemps, le Luxembourg est une terre d’immigration. Le milieu politique et enseignant en a de plus en plus conscience. Mais la volonté d’agir ne s’est pas encore généralisée.

Tous le même enthousiasme. Tous les mêmes chances? (photo: Christian Mosar)

Dans son introduction à la table ronde organisée mardi par le Pôle pour une école démocratique, Serge Kollwelter, président de l’Asti, cite un pédagogue suédois: „On peut beaucoup moins détruire plus tard que durant les premières années de la vie.“. A moins de trois semaines des élections du 9 octobre, l’organisation de l’enseignement préscolaire et primaire, qui relève des communes, prête à débat. Le taux de population étrangère dans la capitale avoisine déjà les 50% – au niveau de l’enseignement primaire, il arrive même que des classes de certains quartiers ne comptent aucun élève luxembourgeois. Rien d’étonnant donc que l’Asti ait convié les représentant-e-s des listes se présentant à Luxembourg pour débattre de la meilleure manière d’atteindre l’égalité par le biais de l’école.

Ainsi, un certain nombre de communes – Esch-sur-Alzette, Schifflange, Ettelbrück, Diekirch, Differdange et Wiltz – proposent dans toutes leurs écoles primaires la tenue de „cours intégrés“. A raison de deux heures hebdomadaires, des branches telles que l’éveil aux sciences sont enseignées dans la langue maternelle des élèves. En règle générale, il s’agit du portugais, voire de l’italien. Pour Joaquim Reduto, qui a enseigné en portugais dans les cours intégrés du „Ale Lycée“ de 2000 à 2002 et qui depuis officie à l’école du Brill, la bonne maî trise de la langue maternelle est primordiale pour l’épanouissement de l’enfant: „Elle donne à l’enfant le sentiment que sa langue et sa culture sont reconnues“.

Mais pouvoir participer à des cours dans sa langue maternelle n’est pas qu’une question de reconnaissance culturelle. Pour beaucoup, c’est aussi une nécessité pédagogique. Citant l’exemple d’une école à Helsinki dans laquelle sont enseignées 16 langues maternelles aux élèves, Guy Foetz, vice-président du SEW-OGBL insiste également sur cette nécessité: „L’aisance de communication dans sa propre langue facilite l’apprentissage de langues supplémentaires.“ Thèse soutenue par Joaquim Reduto qui estime que les élèves maî trisent ainsi mieux toutes les langues.

La langue du coeur

Intervenant au nom de déi Lénk, Claude Simon, éducateur gradué, note que nombre de jeunes étrangers – souvent romanophones et issus des couches populaires – ne maî trisent souvent aucune langue parfaitement, y compris celle de leurs parents immigrés: „Beaucoup de jeunes portugais ont des lacunes dans leur propre langue mais ils doivent encore apprendre le luxembourgeois, le français. Finalement, ils parlent une sorte de créole qui mélange toutes les langues“.

Paradoxalement, alors que la capitale est pionnière en matière de cours intégrés – l’expérience remonte aux années 80 dans certains quartiers du nord de la ville – la majorité échevinale se refuse à généraliser le modèle. Selon l’échevine en charge des questions scolaires, Martine Stein-Mergen (CSV), les cours intégrés „ne constituent pas nécessairement un avantage pour les élèves, l’expérience ayant montré que l’apprentissage de la langue supplémentaire grevait souvent les autres matières“. Jacques-Yves Henckes, conseiller ADR, voit également dans les cours intégrés „la mauvaise solution“ et craint que les élèves ne soient surmenés. Joaquim Reduto réfute cette analyse et parle même de „contre-vérités“: „Une étude du ministère de l’éducation nationale prouve que ces cours ne grèvent nullement le reste. D’ailleurs, personne n’est obligé de les fréquenter, même si les plus petits surtout sont heureux de pouvoir y participer“. Depuis trois ans, la tendance serait d’ailleurs à une augmentation nette de la fréquentation de ces cours.

Le dossier embête la majorité échevinale, d’autant plus qu’il fait de plus en plus d’adeptes. D’ailleurs, Martine Stein-Mergen reconnaî t finalement que l’idée n’est pas si mauvaise tant que ces cours ne dépassent pas les deux heures par semaine. A l’évidence, le CSV n’est pas convaincu par son propre argumentaire. Ainsi Colette Mart, conseillère du DP, plaide pour une prise en charge „individuelle de chaque enfant, indépendamment de sa nationalité“. L’argument, bien que sympathique, ne convainc guère. Pour Zénon Bernard (KPL), „il est bien beau de nier les problèmes liés à la nationalité, mais la réalité est là: les enfants d’immigrés ont moins de chances de réussite scolaire“.

CSV et DP gênés

C’est ce qu’ont d’ailleurs compris les responsables du „Ale Lycée“ à Esch-sur-Alzette. Cette école-projet dont plus de 70% des élèves ne sont pas luxembourgeois, a officiellement adopté un mode de fonctionnement expérimental depuis l’élection de la coalition rose-rouge-verte, en 2000. Qu’une ville comme la métropole du fer accueille un tel projet n’est pas étonnant: avec Larochette et Echternach, elle fait partie des trois villes du pays dont la population est majoritairement étrangère. En plus, les problèmes sociaux à Esch sont supérieurs à la moyenne nationale.

Comme souvent dans le domaine scolaire luxembourgeois, ce projet pédagogique est à l’origine le fruit d’une initiative isolée de quatre enseignants. Pourtant, le „Ale Lycée“ n’est pas une école primaire autonome. Officiellement, c’est toujours une annexe du secteur „Grand rue“ dans le centre du vieil Esch. En pratique toutefois, cette école qui compte environ 120 élèves (deux classes préscolaires et les six classes primaires) „est gérée de manière indépendante“, comme l’affirme Laurent Biltgen, coordinateur du projet. D’ailleurs, une convention avec le ministère de l’éducation nationale est signée chaque année et c’est en 2008 qu’un bilan final sera tiré. Maintenant déjà, il arrive que le „Ale Lycée“ accueille des élèves en difficultés issus d’autres quartiers de la ville.

Comme le décrit la brochure de présentation, la philosophie du projet met „l’enfant au centre“ et entend „développer des compétences scolaires et humaines“ telles que le comportement démocratique, l’acceptation d’autres cultures, la créativité ou le sentiment de responsabilité. D’après Laurent Biltgen, la sauce semble prendre auprès des élèves: „Les enfants aiment venir dans notre école. Apprendre leur fait même plaisir“. Concept qui n’avait probablement rien pour plaire aux yeux de l’ancienne ministre de l’éducation, la libérale Anne Brasseur, qui, lors d’une visite de l’école, tint à souligner que „l’école ne doit pas devenir un Club Med“.

Mais le caractère récréatif de certaines activités – ateliers créatifs, participation aux cavalcades, théâtre – est bien loin de transformer le „Ale Lycée“ en centre touristique pour enfants. D’une certaine manière, le concept concorde avec les propos tenus par la conseillère Colette Mart qui insistait sur l’importance de „s’attaquer aux inégalités culturelles dès le préscolaire“ et de faire découvrir aux enfants le théâtre et les musées.

La nécessité d’apporter un plus pédagogique au-delà du problème linguistique et des méthodes surannées surgit de plus en plus au Luxembourg, pays à forte complexité démographique. „Les cours intégrés font partie d’un ensemble pédagogique“, précise Joaquim Reduto. „Comme ces cours sont dispensés dans le cadre des horaires normaux, les enfants d’immigrés peuvent participer aux activités extrascolaires“. Dans ce sens, la collaboration entre les enseignant-e-s portugais et luxembourgeois accompagnés de leurs classes est primordiale. Ainsi, des visites à l’extérieur sont organisées conjointement, au cours desquelles les enseignant-e-s donnent leurs explications dans les deux langues. Tout comme des soirées de théâtres où les enfants jouent quatre pièces, chacune dans une langue différente: luxembourgeois, français, allemand et portugais.

Au lieu, de séparer les enfants, ce système permet aux élèves de différentes nationalités de se mélanger. Au-delà de l’intégration des enfants, ce système contribuerait à l’intégration des populations étrangères tout court. Joaquim Reduto en est convaincu: „Pour les fêtes de fin d’année, nous demandons à tous les parents de préparer quelque chose de typique de leur pays. Forcément, des échanges se créent, on apprend à se connaî tre. Avant, les parents portugais hésitaient à aller vers l’école. C’est plus facile, lorsque la langue n’est plus un facteur d’exclusion. D’une certaine manière, l’intégration se fait par le biais des enfants“.

Si l’origine sociale constitue souvent un handicap scolaire, la nationalité n’en est pas moins un. Etant donné qu’un grand nombre d’enfants d’immigrés sont également issus de la classe ouvrière, le problème s’amplifie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La sélection la plus flagrante s’opère au niveau du post-primaire. Pour l’année scolaire 2003-2004, la proportion d’élèves étrangers dans l’enseignement secondaire est de 16,5%, alors qu’elle s’élève à 37,9% dans l’enseignement secondaire technique. Les élèves portugais y sont le plus représentés (22,4%), suivis par les élèves de l’ex-Yougoslavie (4%) et les Italiens (3,4%). En tout, ils représentent 78,6% des élèves étrangers de l’enseignement secondaire technique. Plus grave, une enquête réalisée par le Service de Coordination de la Recherche et de l’Innovation Pédagogiques et Technologiques (SCRIPT) en 1999 comptabilisait pour l’année scolaire 1998-1999 une nette majorité d’élèves étrangers (60,4%) dans l’enseignement modulaire du régime préparatoire.


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