Le très acclamé « Sleeping Beauty » de la jeune réalisatrice Julia Leigh, redéploie les relations complexes entre les rôles sexuels et la soumission, le tout sur fond de précarité.
Malgré son jeune âge, Lucy connaît bien les aléas de la vie. Etudiante sans le sou dans une grande ville australienne, sa vie s’étale entre les amphithéâtres de sa fac, sa colocation qu’elle n’arrive pas vraiment à payer et ses trois boulots étudiants qui lui enlèvent le peu de temps qu’elle pourrait passer avec elle-même. Son boulot de nuit est définitivement celui qui lui prend le plus de temps et surtout le plus d’efforts sur tous les plans, vu qu’elle a décidé d’arrondir ses fins de mois en se prostituant à des riches traders dans les bars chics de sa ville. Cet écartèlement dans tous les sens du terme rend Lucy insaisissable aussi bien pour le spectateur que pour elle-même. Non que la prostitution étudiante soit une grande nouveauté, mais elle est un des symptômes de la précarisation croissante surtout chez les jeunes, qui, comme Lucy, ne veulent pas vivre dans la misère et font ainsi des compromis fallacieux pour du moins avoir et surtout donner l’impression de bien vivre leur vie. Tout comme la protagoniste, qui choisit de vivre dans un complexe d’appartements top standing lorsqu’elle a de l’argent et que sa colocation la met quand même à la porte.
Car Lucy répond un jour à une annonce pas comme les autres. Un service d’escorte qui met des jeunes filles à la disposition de vieux messieurs fortunés. Ici, pas de sexe, mais des fantasmes pervers mis en scène de façon faussement subtile. On plonge dans le manoir de « L’histoire d’O. », le roman et le film à scandales du 20e siècle. Mais croire que « Sleeping Beauty » est un hommage à la soumission sexuelle, à l’amour de et sous la torture et l’humiliation est un leurre. Pour Lucy comme pour les autres, l’aspect pécunier de ces soirées frivoles dépasse de loin leur éventuel intérêt. La réalisatrice Julia Leigh a fait un choix habile en évoquant cet univers pour attirer le spectateur pour mieux le tromper. L’histoire de « Sleeping Beauty » est une autre. C’est une histoire de Belle au bois dormant qui se réveille dans une triste réalité et dont le seul désir est de se rendormir au plus vite. L’aspect intéressant de ces soirées pendant lesquelles elle doit avaler un somnifère et dormir nue dans un lit où elle est rejointe par un client plus tard, un client qui partira avant son réveil et qu’elle ne verra donc jamais, est que Lucy semble y prendre goût. Et cela parce que ces soirées correspondent à un désir plus profond chez elle : l’évasion, ne plus être ce qu’elle est. Fuir, c’est le principal mouvement de la protagoniste de « Sleeping Beauty ». Elle fuit sa mère, une cartomancienne alcoolique et violente, elle fuit ses colocataires et même ses amis. La seule exception et – triste – point de chute, sont les moments qu’elle passe chez son meilleur ami, appelé le « Birdman », un alcoolique lui aussi et maniaco-dépressif de surcroît. Pourtant, quand la confusion de ses multiples vies prend l’avantage sur elle, c’est uniquement dans ses bras qu’elle se sent en sécurité.
« Sleeping Beauty » est un film à clés, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais au lieu de nous confronter à une ribambelle d’énigmes, comme le fait par exemple David Lynch, Julia Leigh a opté pour une caméra suggestive qui nous montre tout de la perspective du personnage principal. Là où nous ne comprenons pas les motivations de Lucy, elle non plus ne les comprend pas. Et ce qui plus est, c’est un film qui ne donne pas de jugements, ni même de conclusions équivoques. En d’autres mots : du grand cinéma comme on l’aime.
A l’Utopia.