C’est probablement une mutinerie qui est à l’origine de l’incendie au bloc P2 du Centre pénitentiaire, là où sont retenus les demandeurs d’asile en voie d’expulsion. Ce cri de détresse a causé la mort d’un d’entre eux.
„Il faudra un drame, accompagné de la mort d’un homme, pour qu’enfin cette situation inacceptable pour un pays comme le Luxembourg, soit sous les projecteurs de l’actualité“. Cette phrase extraite du communiqué de presse du „European network against racism“ (Enar) résume assez bien la triste réalité du monde carcéral luxembourgeois. Sauf que ce lundi, le drame n’a pas touché des détenus de droit commun. En effet, l’incendie qui a ravagé le Centre de séjour pour personnes en situation irrégulière du Centre pénitentiaire du Luxembourg à Schrassig (CPL) n’a pas été provoqué par des criminels ou des délinquants condamnés. Au contraire: les personnes en question n’ont rien à se reprocher, hormis le fait de se trouver sur le territoire luxembourgeois en situation irrégulière.
„Il y a d’autres moyens que de mettre le feu pour attirer l’attention à soi“, expliquait Luc Frieden, ministre de la justice, sur RTL Radio ce mercredi. S’il est vrai que le fait de mettre le feu à des matelas et des meubles n’est pas la méthode la plus inoffensive, il faut se demander comment le ministre de la justice peut faire, en toute bonne foi, une telle déclaration. Quiconque s’intéressant en effet un tant soit peu à la problématique du Centre de séjour pour personnes en situation irrégulière, sait pertinemment que les personnes y retenues ne disposent justement pas des moyens d’expression courants. „Les personnes retenues dans ce centre sont parfois plus isolées que les détenus de droit commun“, explique Marie-Cécile Charles, assistante sociale auprès du Centre de liaison et d’action des étrangers (Clae).
Innocents mais prisonniers
En effet, pour peu qu’une de ces personnes en attente d’expulsion ne dispose d’aucun lien familial, elle se retrouvera bien seule dans sa cellule du bloc P2, enfermée dans une prison d’un pays qu’elle n’a pas eu le temps de connaî tre. Se manifester devient une chose impossible quand on sait, comme nous l’ont indiqué des sources sûres, que certains déboutés peuvent attendre plus d’une semaine avant de pouvoir communiquer avec l’avocat qu’ils ont sollicité. Pour ce qui est d’une assistance sociale, elle est inexistante. Le CPL dispose certes d’un service d’assistance, mais celui-ci est destiné aux prisonniers de droit commun.
Cela a été répété à plusieurs reprises cette semaine: des demandeurs d’asile n’ont pas à être enfermés en prison. Le gouvernement en est conscient et serait en train de travailler activement à la réalisation d’un centre de rétention digne de ce nom. Il serait temps. En 1993 déjà, le Conseil d’Etat, dans un avis sur le projet de loi modifiant la loi de 1972 sur l’entrée et le séjour des étrangers, écrivait, à propos de la détention au CPL des candidats à l’expulsion: „(…) il s’agit en l’occurrence d’une mesure de contrainte extrême qui n’est pas fondée sur une infraction commise au Grand-Duché pour laquelle serait intervenue une condamnation. Il est indispensable que le Ministère de la Justice trouve des locaux ou des services appropriés dans lesquels les mesures de privation de liberté en question puissent être exécutées en toute sécurité. Il n’est pas convenable de placer les étrangers en question systématiquement parmi les délinquants“. C’était il y a 13 ans. Le ministre de la justice de l’époque, l’actuel médiateur Marc Fischbach, n’avait déjà pas réagi. Aussi, l’Enar a dénoncé en 2004 le Luxembourg dans un rapport: „Malgré les promesses passées, le centre de rétention n’a toujours pas vu le jour en 2004. Les personnes en situation irrégulière, arrêtées par la police sont donc toujours placées au centre pénitentiaire de Schrassig et viennent gonfler les chiffres de la population carcérale. Cet amalgame est régulièrement dénoncé, mais en vain.“
Ce drame n’a pas seulement révélé le manque d’intérêt de Luc Frieden pour le sort de ces détenus, il a aussi souligné sa mauvaise foi et sa malhonnêteté politique. Aux attaques du député libéral Xavier Bettel, Frieden opposa qu’il était plus facile de critiquer que de faire des propositions concrètes. Or, Frieden a omis d’informer la Chambre des députés, qu’il a souvent été sollicité. En effet, depuis plus d’un an, le Clae et la Croix-Rouge tapent à la porte du ministère de la justice en quête d’un agrément pour pouvoir soutenir ces détenus. En vain. La porte reste close.
Frieden savait
Mais Frieden n’est pas le seul à être resté inactif. Frank Wies, avocat spécialisé sur la question des réfugiés et président de la section luxembourgeoise d’Amnesty international, affirme que le Conseil des Réfugiés a déjà eu des entrevues avec Jean Asselborn, ministre de l’immigration et Nicolas Schmit, son ministre délégué. D’autres sources nous ont également confirmé qu’ils ont depuis longtemps été mis au courant des conditions de vie indignes des détenus du bloc P2. Mais cela n’aura pas servi à grand chose.
Au lieu d’agir, les membres du gouvernement préfèrent donner la faute aux victimes. Jouant la carte de la confusion, ils qualifient les déboutés incarcérés de „criminels“, comme l’a fait Jean Asselborn dans un entretien à la Voix (édition du 31 janvier). „Une déclaration absolument inacceptable“, estime Vera Spautz, députée socialiste. Concernant Frieden, Vera Spautz se dit „effrayée“ de la réaction du ministre lors de son intervention à la Chambre ce mardi. „Il connaissait la situation. Mais il ne prend pas la chose au sérieux. C’est tout à fait irresponsable de sa part.“
„Criminels“, „dealers“, „immigrés illégaux“- un terme qui n’a d’ailleurs aucune existence juridique -, les termes ne manquent pas à Frieden. En bon juriste, il devrait savoir qu’il frise l’injure. „Je n’ai pas connaissance de la présence de ce que je qualifierais de grands criminels dans le bloc P2“, explique Frank Wies. „S’ils étaient des criminels, ils seraient en détention et non en rétention. Je suis révolté de la manière dont la chose est présentée“. Quant à savoir combien de ces détenus auraient véritablement un passé délictueux, ce n’est pas possible, faute de chiffres. Ce qui semble néanmoins certain, c’est que la majorité d’entre eux ne se sont jamais rendus coupables de quoi que ce soit, et si ce fut le cas, il faut relativiser leur acte en fonction de leur situation plus que précaire. Par voie de communiqué de presse, déi Lénk se dit „scandalisé par cette façon de culpabiliser les demandeurs d’asile en question“ et exige la conduite d’une enquête.
Aussi, déi Lénk estime que si la construction d’un nouveau centre de rétention représente une amélioration, „il n’est qu’un élément parmi d’autres d’une politique d’immigration inhumaine“. Une analyse proche de celle du Clae qui pose les questions suivantes dans un communiqué de presse: „Que penser de cette conception de la dissuasion par l’enfermement? Le flux de migrants au Luxembourg est-il à ce point ingérable qu’il justifie le recours à ces mesures de rétention?“