Depuis quelques années déjà, instituteurs, éducateurs et parents d’élèves tentent d’améliorer l’enseignement primaire. Une multitude d’initiatives ont vu le jour et innovent en matière de pédagogie.
„L’école doit le plus possible faire usage de sa responsabilité et ne pas trop déléguer aux parents“, déclare Marc Bodson, instituteur dans une école primaire de la commune de Kopstal. C’est ainsi que l’enseignant débuta son exposé au „forum d’échange“ co-organisé par l’Asti ce mardi 14 mars. Devant un parterre d’enseignants, la conférence intitulée „Accompagnement scolaire à l’école primaire, un pion pour l’égalité des chances!“, sept personnes se sont succédées à la tribune pour y présenter différents modèles d’encadrement des élèves.
Marc Bodson fait partie d’un projet d’aide aux devoirs qui existe depuis environ quatre ans. „Nous avons lancé cette initiative afin de combler le fossé social“, explique-t-il tout enthousiaste. Il faut dire qu’il a du pain sur la planche. La législation luxembourgeoise en matière de politique scolaire date encore de la loi scolaire de 1912 que Mady Delvaux, ministre de l’éducation nationale, est en train de réformer. Mais depuis 1912, le Luxembourg a changé. Il a traversé deux guerres mondiales, connu le passage vers l’industrialisation de son économie avant que celle-ci ne recule devant le secteur tertiaire, intégré plusieurs vagues d’immigration, les plus récentes ayant apporté leur lot de perdants des conflits et guerres balkaniques. La société luxembourgeoise a atteint ce que son économie recherche depuis des années: la diversification – sociale, nationale, linguistique. En l’absence, durant des décennies, de réaction conséquente et cohérente du monde politique face à cet enchevêtrement de problèmes, le monde enseignant a dû se débrouiller avec cette hétérogénéité. D’où une éclosion, ces dernières années, d’initiatives locales généralement impulsées par des enseignant-e-s ou des éducateurs-rices. Certaines sont déjà plus anciennes, comme la maison-relais Kannernascht de l’Asti qui offre ses services depuis 1985 dans les quartiers de Mühlenbach, Eich et Weimerskirch.
Si Marc Bodson s’est engagé dans ce projet d’aide aux devoirs, c’est aussi peut-être parce qu’il n’est pas, comme il le dit, „un fan des devoirs à domicile“. Tou-t-e-s les intervenant-e-s n’ont certes pas condamné le principe des devoirs à domicile de façon explicite mais il ressortait que la question constituait un des principaux axes de discussion. Car si les professionnels de l’enseignement tentent, à leur niveau, de pallier aux inégalités engendrées par la société, ils doivent prendre en compte l’environnement et l’origine sociale de leurs élèves. D’où l’importance de savoir dans quel cadre les enfants révisent et préparent leurs cours.
Mais la question ne se limite pas au fait de savoir si les élèves doivent travailler à la maison ou pas. Il s’agit également de savoir comment et avec qui. Etant donné que les projets d’encadrement scolaire émanent d’initiatives de „gens du terrain“, l’expérimentation et l’innovation pédagogiques ont libre cours. Ainsi le projet „Muspelland“ de Hosingen dans le nord du pays. Ensemble avec le Service de coordination de la recherche et de l’innovation pédagogiques et technologiques (Script), le ministère de l’éducation nationale (MEN) et celui de la famille ainsi que l’intersyndicale communale, un groupe de travail dénommé „Schoul um Wee“ propose un partenariat enseignants-éducateurs- parents d’élèves.
Adapter à l’élève
Afin d’illustrer la démarche intellectuelle du projet, Roland Meyer, un des responsables, a préféré commencer son exposé par une „petite histoire“. Les initiateurs du „Muspelland“ se sont en effet glissés dans la peau d’une petite fille de sept ans confrontée au quotidien à une très grande structure éducative qui lui demande de comprendre beaucoup de choses. L’idée est claire: il s’agit de mettre l’élève au centre de l’enseignement et donc d’adapter le système à l’enfant et non l’inverse. Ainsi, le „Muspelland“, le „pays de la fantaisie et des rêves“ devient une communauté solidaire axée sur la communication et l’implication des partenaires scolaires. Les objectifs du projet s’inscrivent dans un concept global: une orientation systématique des enfants et des „partenaires de l’éducation“, une amélioration du climat scolaire par le biais de mesures relatives à la santé, le renforcement de la personnalité et des compétences générales des élèves. Concrètement, cela se traduit par trois domaines comme la formation continue du personnel, l’accompagnement des enfants aux besoins spécifiques par une pédagogue à la formation adéquate et l’organisation d’ateliers de littérature, de cirque, de cuisine … L’adaptation de l’enseignement aux besoins de l’enfant est ainsi complétée par une approche didactique de l’éducation. En fin d’année, le Script procède à une évaluation. Jusqu’à présent, les parents se sont montrés très satisfaits de l’expérience.
„Expérience“ semble d’ailleurs être le mot-clé des différents projets. S’ils ne se ressemblent pas tous, ils partagent néanmoins l’approche centrée sur l’élève, le respect de leurs rythmes respectifs et l’apprentissage par le jeu. Autre élément essentiel: éveiller leur curiosité et renforcer leur autonomie face à l’apprentissage.
A cet „échange de bonnes pratiques“, la présence d’une enseignante finlandaise n’était pas étonnante. Au Luxembourg depuis la rentrée, Veera Mahlamaki y a exposé les grandes lignes du système scolaire de la république nordique régulièrement rangé parmi les meilleurs au monde par des études internationales comparatives, notamment Pisa. Depuis le choc éprouvé par le Luxembourg lors de la publication des résultats de la première étude de l’OCDE, le modèle finlandais circule dans certains milieux enseignants. Le Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft (SEW) de l’OGBL a même visité une des écoles de ce pays du grand nord. Il faut dire que ce système à tout pour séduire: des écoles chauffées au feu de bois dans un cadre „cosy“, une communauté scolaire conviviale où tout le monde s’appelle par son prénom, un réseau de bibliothèques très dense, des enseignant-e-s bien formé-e-s en constante collaboration avec des éducateurs et psychologues. Sans oublier évidemment le tronc commun, les redoublements quasiment inexistants, les innombrables ateliers où les enfants „apprennent par l’action“.
Montessori revient
Si le modèle finlandais s’est construit une si belle réputation au-delà de ses frontières nationales, y compris au Luxembourg, il est toutefois intéressant d’observer qu’il s’est délibérément inspiré de l’éducation nouvelle, notamment celle pronée par Maria Montessori, médecin italien et pédagogue du début du vingtième siècle. Cette pionnière de la pédagogie vit une gloire posthume. En effet, les écoles s’inspirant de son modèle se sont peu à peu éteintes en Europe. Toutefois, c’est en Asie que son modèle a trouvé un écho plus favorable. Qualifié de „pédagogisme“ par les néo-réacs, le modèle Montessori et ses émules – Freinet, Ferrière, Cousinet – semblent toutefois revenir à petits pas pour intervenir là où les systèmes traditionnels rencontrent leurs limites. Avec, en prime, une satisfaction partagée par enseignants, parents et élèves.
Depuis que la socialiste Mady Delvaux s’est installée rue Aldringen, les adeptes de l’innovation pédagogique semblent commencer à gagner espoir. En marge de la conférence, on pouvait en tout cas entendre ci et là des commentaires peu élogieux à l’égard de l’ancienne ministre libérale Anne Brasseur, un peu comme si une parenthèse particulièrement obscure de l’éducation nationale s’était achevée. L’actuelle ministre semble par contre avoir le mérite de motiver son personnel („Avec Mady, on peut au moins discuter“).
Mady Delvaux serait-elle en train de révolutionner le système scolaire luxembourgeois? L’effervescence à la base et les signaux venant du ministère pourraient en témoigner. Après la mise en place à la hussarde du „Neie Lycée“ – on murmure que son développement jusqu’au bac serait déjà acquis -, de la réforme des devoirs à domicile dans le primaire et celle en cours de route de la loi de 1912, une machinerie plutôt efficace et finalement pas si lente que ça s’est mise en route. Il était temps que l’éducation nationale se mette à la recherche du temps perdu.