EUTHANASIE: Délicate évolution

La loi sur l’euthanasie et le suicide assisté est en vigueur depuis 2009. A une journée de la tenue de l’assemblée générale de l’association qui a porté cette revendication, le woxx fait le point sur les évolutions et les questions qui se posent.

Au-delà ou rien du tout, Tartare ou Champs élysées, la destination est inconnue. Mais beaucoup moins que le chemin pour mettre volontairement fin à ses souffrances.

Quelle que soit l’attitude personnelle que l’on adopte face à l’euthanasie, l’idée fait froid dans le dos. On ne badine pas avec la mort. Et si nous y serons tous confrontés un jour, le départ définitif peut nous paraître d’autant plus glaçant lorsqu’il doit être préparé et planifié d’avance au lieu de surgir de manière impromptue. Le résultat est le même, mais au moins nous épargne-t-il, à nous-mêmes et à nos proches, une longue préparation psychique vers l’ultime départ. Mais ce sont surtout certains passages d’une brochure d’aide à l’attention des médecins publiée par l’Association pour le droit de mourir en dignité (ADMD-L), qui nous mettent devant la réalité, qui peuvent glacer. Ainsi, « il est conseillé de convenir avec le patient et ses proches, de façon très claire, du moment où l’euthanasie sera pratiquée ou de celui du suicide assisté, tout en rappelant au patient qu’à tout instant il peut encore y renoncer ». La brochure donne également des conseils de comportement lors de la phase du décès : « Veillez à masquer autant que possible le côté `technique médicale‘ et à ce que les assistants ne se braquent pas sur cet aspect purement technique. Il est plus important de toucher le mourant avec émotion que de compter ses respirations ». Exercice délicat pour une situation que personne ne souhaite mais qui est souvent la meilleure issue possible…

Aussi n’est-il pas étonnant que le débat accompagnant le vote de cette loi fut tant passionné que controversé, y compris jusqu’au sein de la rédaction du woxx. Quelques furent les motivations religieuses ou idéologiques de ses opposants, la crainte que l’abus ne devienne la règle était partagée. Après tout, l’euthanasie n’avait-elle pas été pratiquée sous le 3e Reich auprès d’une partie de la population jugée inutile ? Sans oublier que l’avortement, s’il était interdit aux « races pures », était vivement encouragé pour les autres.

Quoi qu’il en soit, les pro-euthanasie luxembourgeois peuvent se targuer que depuis l’application de la loi, aucun abus n’a pu être constaté. Et leur nombre n’a pas explosé. Selon le dernier rapport de la Commission nationale de contrôle et d’évaluation de la loi du 16 mars 2009 sur l’euthanasie et l’assistance au suicide (CNCEESA), seul cinq euthanasies ont été pratiquées en 2009 et 2010. Quant au « tourisme de la mort » que certains redoutaient, hormis le fait que le Luxembourg ne constitue pas un ilot en la matière (l’euthanasie est également pratiquée chez nos voisins directs et indirects que sont la Belgique et les Pays-Bas), il est difficilement envisageable, comme le souligne Christophe Schiltz, président de l’ADMD-L : « On ne peut pas se rendre simplement comme cela chez un médecin et lui demander de vous euthanasier. Cet acte présuppose une forte relation de confiance. » Non seulement la procédure doit parcourir une certaine période de concertation entre le patient et le médecin, mais ce dernier doit également faire appel à un médecin « indépendant ».

Toutefois, si le nombre d’euthanasies est relativement bas, le nombre de personnes ayant laissé enregistrer un testament de fin de vie aurait actuellement atteint le millier de personnes. Par ailleurs, il est assez intéressant de constater que les femmes y sont surreprésentées (396 femmes pour 285 hommes selon les chiffres de 2011).

Mourir n’est pas une bagatelle

Mais comme le rappelle la brochure de l’ADMD-L à l’attention des médecins, l’euthanasie « n’est évidemment pas la seule décision médicale grave qui puisse être prise en fin de vie ». Et d’ajouter que « près de 40 % des décès ont été précédés d’une décision médicale qui a pu en avancer significativement le moment ». Et ceci dans le cadre des soins palliatifs, après la décision d’arrêter un traitement vital remplacé par l’administration d’opiacés à doses élevées, voire de mettre le patient sous sédation en attendant le décès. Or, il est actuellement difficile de chiffrer le nombre de tels décès dans le milieu hospitalier. N’étant évidemment pas considérés comme des suicides assistés, ils ne doivent pas être déclarés ni évalués par la CNCEESA.

En plus de ce genre d’incertitudes, la pratique de l’euthanasie au Luxembourg reste encore un chantier. L’ADMD-L est d’ailleurs au centre de ces chamboulements. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, l’association s’est vue dotée d’un certain nombre de compétences, outre l’octroi d’une demi-tâche de secrétariat et la mise à disposition d’un local qu’elle partage avec d’autres organisations comme la « Patientevertriedung », sa principale activité réside dans le travail de consultation et d’information, notamment auprès de maisons de retraites, voire de sections locales de partis politiques, comme nous le confie Christophe Schiltz. Ainsi, tout au long de l’année 2011, elle a enregistré 24 consultations dans leurs locaux ou de visites à domicile en plus de 725 appels téléphoniques et de 199 courriers. Un travail que le jeune secrétaire de l’association, Patrick Brücher, qualifie de « grand défi » car il s’agit d’un « domaine qui, en raison de la jeunesse de la loi, constitue une terre inconnue absolue ». Une terre inconnue aussi pour le corps médical. Certes, l’ADMD-L disposerait d’une liste de médecins avec lesquels elle collabore, mais aucun n’est membre du comité. Toutefois, le comité compte parmi ses membres une psychologue. Néanmoins, le fait que la loi ne contraint aucun médecin à pratiquer l’euthanasie, principe avec lequel l’ADMD-L est par ailleurs d’accord, ne facilite pas vraiment le travail. Un médecin est ainsi tenu, en cas de refus personnel, à transmettre le dossier médical à un confrère. Mais encore faut-il qu’il ait cette connaissance. Pour sa part, l’ADMD-L se refuse à publier une telle liste.

Avec le temps et la pratique, de nouvelles questions ont émergé. Par exemple celle qui est liée au formulaire à remplir pour la CNCEESA. Le formulaire en question est en effet minimaliste, mais cela correspond aux tâches de la commission, qui ne peut évaluer un cas que sur la base de critères objectivement prédéfinis. Pour ce qui est des considérations et voeux personnels du patient, elle ne réserve que quelques lignes. Afin de pallier à ce paradoxe formaliste (nécessité de critères rigoureux d’une part face à une situation éminemment subjective), l’ADMD-L conseille les patients dans la formulation de leurs voeux. En effet, les patients peuvent faire verser des voeux supplémentaires au dossier médical qui pourront être pris en compte par le personnel soignant.

Les problèmes se corsent un peu plus, lorsque le patient est atteint dans sa lucidité. C’est notamment le cas pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Comment traiter, en effet, ces personnes qui auront rempli au préalable une déclaration anticipée, c’est-à-dire qui auront permis cet acte avant la perte de leur conscience ? A titre d’exemple, Schiltz s’interroge du cas d’une personne malade d’Alzheimer, signataire d’une déclaration anticipée et qui, le moment venu et la maladie ayant atteint le stade critique, refuserait ce qu’elle avait auparavant souhaitait pour elle-même ? Qui peut juger de la lucidité réelle de la personne et trancher dans ce cas ? La question reste épineuse et elle sera d’ailleurs débattue au mois de juin lors du congrès de la « World Federation of Right-to-Die Societies ».

Finalement, il faudra également résoudre le problème des mourants mineurs. Ceux-ci sont actuellement exclus de la loi, et s’ils ne devraient pas constituer la majorité des cas (les euthanasies pratiquées jusqu’à présent au Luxembourg n’ont concerné que des personnes d’un certain âge), l’un ou l’autre pourrait venir à se poser. Des questions peut-être encore trop épineuses que le législateur, impliqué à l’époque dans un débat lourdement chargé en émotion, a préféré éluder. Dans un premier temps ? Il faudra impérativement continuer à peaufiner la législation autant que la pratique.

Ce que résume Lydie Err, co-auteure de la loi avec Jean Huss, en ces termes dans le bulletin de l’ADMD-L : « Les lois votées en 2009, quoique constituant un pas important, sont le résultat de compromis et de concessions à l’issue d’un débat difficile et souvent houleux ». En d’autres termes, après les passions suscitées, la législation et la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté doivent désormais faire place à la raison et à la maturité.


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