VOL SPÉCIAL: La prison pour innocents

Mardi prochain, un documentaire projeté au cinéma Utopia vous propose une plongée dans le système d’un centre de rétention en Suisse. Des expériences qui déchantent, à l’image de ce qui se passe près du Findel.

Le monde n’a été créée ni par Yahvé en six jours, ni n’est issu d’un chaos primordial duquel surgirent les éléments fondamentaux. Non, le monde fut créé par de gentils lutins qui, depuis, ne cessent de répandre bonté et générosité parmi les hommes et les femmes. C’est dans ce sens que furent construits les centres de rétention. N’y voyez aucun mal, ces centres sont formidables. Ils permettent d’accueillir avec plein d’humanité des personnes égarées en Europe. Egarées, oui. Evidemment, ces dernières arguent qu’elles se sont vues contraintes de quitter pays et famille parce qu’elles ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins fondamentaux, qu’elles risquaient d’être pourchassés par des régimes peu scrupuleux ou encore périr dans une guerre plus ou moins civile. Petites natures, va.

« Vol spécial » nous emmène en Suisse. Dans la commune de Frambois, plus précisément. Cette commune héberge l’un des 28 centres de rétention de la Confédération helvétique. Longtemps, ce centre fut considéré comme un modèle, tant et si bien qu’il inspira le gouvernement luxembourgeois dans la construction et gestion de son propre centre qui a ouvert ses portes en septembre de l’année passée. On vous le répétera sans cesse : un centre de rétention (ou de « détention administrative », comme on dit en Suisse) n’est pas une prison. C’est vraiment si l’on considère qu’une prison « accueille » des personnes condamnées pour avoir enfreint les lois, alors que dans les centres de rétention sont enfermées des personnes qui n’ont commis aucun délit si ce n’est celui de ne pas être parvenu à régler leur droit de séjourner sur le territoire. Dans un cas ou dans l’autre, ces centres privent de liberté, les centres de rétention ayant pour vocation finale de « retenir » le débouté du droit d’asile avant son « retour », en principe vers son pays d’origine. Ce qui équivaut très souvent à une double peine, le retour pouvant constituer un châtiment mettant réellement en cause l’existence.

Le plus flagrant, c’est que le plus souvent, les personnes travaillant dans ces centres sont loin d’être des monstres. Au contraire, ces éducateurs ou psychologues tentent de faire preuve d’humanisme dans un système fondamentalement inhumain. Et les retenus sont ainsi pris entre une sympathie, une réelle complicité avec le personnel, et une révolte quant à leur sort. On ne peut priver une personne humainement de sa liberté. Ce sont aussi ces contradictions que saisit le documentaire de Fernand Melgar. Des conditions cruellement kafkaïennes : contradiction des politiques d’immigration, à l’absurdité même de la mesure de rétention et finalement aux tentatives de personnes de bonne foi d’humaniser l’inhumain.

Ce sont peut-être aussi des expériences similaires qui sont vécues au centre de rétention du Findel. Le quotidien de ce centre, présenté dans les médias comme étant à la limite du luxe, n’est peut-être pas aussi chantant qu’attendu. Armelle Ono, membre de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et visiteuse régulière du centre, en est persuadée : la direction du centre « tombe des nues ». De fait, les rétentions qui durent six mois (la limite légale) seraient monnaie courantes, tant les procédures d’expulsions sont compliquées, notamment dues à la non-coopération des pays d’origine. Entre-temps, le centre qui s’est toujours défendu d’être une prison se serait doté de fils barbelés (il y aurait déjà eu deux évasions). Et l’utilisation de la cellule d’isolement se pratiquerait également. Certaines libertés, pourtant accordées aux détenus en prison, comme la possibilité de préparer ses propres repas auraient été abolies : trop dangereux de laisser aux retenus des ustensiles de cuisine. Le personnel, finalement peu préparé à ce travail, craint qu’ils ne s’en servent contre lui. Selon Armelle Ono, un retenu en serait d’ailleurs à sa troisième semaine de grève de la faim. Ce ne serait pas la première fois d’ailleurs. Certes, le centre dispose d’une très belle salle de sport et le personnel fait de son mieux. Mais cela est probablement une bien faible consolation pour des innocents qui sont, finalement, enfermés.

« Vol spécial », le 15 mai à 19 heures au Ciné Utopia à Luxembourg-Limpertsberg. L’entrée est libre, réservation au
tél. 22 46 11. A l’issue de la projection, il y aura un débat avec entre autres le ministre du travail, de l’emploi et de l’immigration, Nicolas Schmit. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site www.asti.lu ou sur
www.volspecial.ch/fr


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