LUTTES SOCIALES: Paix chaude

Attaqué par des politiques néolibérales, isolé face au patronat et aux partis de gouvernement, menacé par l’opposition: l’OGBL est en difficulté.
Sa fête du travail nouvelle formule symbolise la mue d’un syndicat aux prises avec un climat social glacial.

C’était sa dernière fête du travail en tant que président de l’OGBL. Le 1er mai 2004, John Castegnaro avait appelé ses troupes à Schifflange. Le beau temps n’était pas vraiment au rendez-vous, une grisaille toute printanière dominait. Pas grave, le cortège devait de toute façon se clôturer dans la salle des sports de la commune. Ainsi rassemblés, les militant-e-s syndicaux allaient assister au dernier discours de 1er mai de l’inoxydable patron. On pouvait s’y attendre: les yeux rougis, ‚Casteg‘ ne sut réprimer les trémolos qui s’insinuaient dans sa voix puissante. L’ultime harangue terminée, les larmes d’émotion de quelques inconditionel-l-e-s séchées, un constat s’imposait. Castegnaro avait prononcé son dernier discours devant une audience clairsemée. Il ne s’était pas adressé à l’organisation de masse, mais aux fidèles, au sein de la famille OGBL. Les autres lui avaient préféré les stands de bière et de Thüringer ou s’étaient déjà éloignés pour prendre le premier apéro dans une pizzeria du coin.

Ce n’était pas nouveau. D’année en année, la participation aux cortèges syndicaux faiblissait et l’ambiance était plus à la déprime qu’à l’enthousiasme des luttes ouvrières. Un peu comme si, à l’époque du chômage ressurgissant, c’était le travail que l’on enterrait.

Depuis plusieurs années, l’OGBL réfléchissait à une alternative, à une manière d’arrêter l’hémorragie de foules qui ne se laissent plus mobiliser aussi facilement. Mais aussi d’internationaliser la journée. Ainsi naquit l’idée d’organiser des défilés transrégionaux. En plus de grossir les rangs, cette solution devait donner des couleurs à la fête, voire attirer un peu plus de jeunesse. Mais le succès de cette initiative fut mitigé, en partie aussi à cause du LCGB, le syndicat chrétien, qui préféra son indépendance à l’unité syndicale.

La première de Reding aura donc probablement été le dernier 1er mai tel qu’il était connu depuis des décennies. En 2006, plus de fête du travail, ou presque: cette année, l’OGBL rebaptise l’événement en „Fête du Travail et des Cultures“. „La culture, c’est aussi l’émancipation, il ne faut pas la laisser aux banques et aux entreprises“, explique le président Jean-Claude Reding. Et de la culture, il y en aura le 1er mai au centre culturel et de rencontre Neumünster. Trop peut-être. Entre la Capoeira, les tours de magie de David Goldrake, la musique africaine, les ateliers pour enfants et les défilés de mode alternative, il est resté peu de place pour la politique. Mais ce ne serait que partie remise, Reding projette déjà des forums de discussion et des débats pour l’année prochaine.

Ce 1er mai nouvelle formule a fait débat. L’unanimité au sein de l’OGBL n’est pas acquise, et encore moins au sein de la confédération générale du travail (CGT). En effet, OGBL et FNCTTFEL-Landesverband feront en partie bande à part, ce dernier ayant préféré maintenir une version plus classique dans la salle des fêtes du Casino syndical de Bonnevoie, avec discours politique et buffet campagnard. Il ne faudrait pourtant pas y voir le moindre signe de désaccord politique entre l’OGBL et le Landesverband, affirme son président Nico Wennmacher. Pour preuve, les sections du nord feront tout de même un meeting CGT commun à Mertzig. Et le Landesverband enverra une délégation à l’abbaye Neumünster. Ce qui n’empêche pas Nico Wennmacher de se montrer sceptique face à la décision unilatérale du grand frère: „Les gens ont tendance à percevoir le 1er mai comme un jour ferié. Nous avons voulu maintenir une fête syndicale. Faut-il vraiment laisser tomber toutes les traditions? Je me pose la question.“

Paix, culture et liberté“-f*

L’analyse de Jean-Luc de Matteis, secrétaire central de l’OGBL pour la jeunesse, diffère fondamentalement: „Parfois, les traditions doivent se renouveler si elles ne veulent pas disparaî tre.“ Pour de Matteis, il est essentiel de rapprocher le syndicalisme de la jeunesse. A cet effet, l’OGBL a prévu pour le 30 avril une soirée toute dédiée aux ados, avec concerts à la Rockhal, où Thorunn, égérie de la pop locale, sera en tête d’affiche.

Si pour certains sceptiques de la gauche syndicale, cette rupture avec les traditions constitue un pas de plus vers une dépolitisation voulue par la direction, Jean-Claude Reding, explique ce choix en invoquant des raisons inverses. Dans son introduction de l’invitation à la Fête du travail et des cultures, on peut notamment lire que „les rituels mènent à l’engourdissement. Or, le syndicat est un mouvement. C’est la raison pour laquelle l’OGBL ne change non seulement ses formes d’action et ses méthodes de travail, mais aussi innove-t-il cette année en proposant une nouvelle formule de fête du 1er mai.“

Que la première édition du 1er mai nouvelle formule a lieu quelques jours après la clôture des négociations tripartites, cela a beau être un hasard, l’évènement n’en est pas moins symbolique. Car si le syndicalisme luxembourgeois essaie d’innover, tant dans les formes que dans le contenu, c’est aussi parce que le contexte socio-politique national a plutôt changé en sa défaveur.

Il faut avouer que derrière la satisfaction affichée – relative, certes – par les syndicats à l’issue des négociations, les nerfs sont franchement à vif. Derrière les prises de position unanimes affirmant que les syndicats ont su éviter le pire se cache l’amer constat d’une grande isolation. C’est d’ailleurs ce contexte politique qui a fait approuver, bon gré mal gré, à un certain nombre de membres de l’OGBL l’accord tripartite. Sur ce point, Jean-Claude Reding est catégorique: „Si c’était la politique qui avait pris les décisions toute seule, celles-ci auraient été beaucoup plus défavorables au salariat.“ L’OGBL estime s’être trouvé isolé face au patronat et au gouvernement. L’intransigeance de la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) aurait été d’un secours salutaire. En plus, le LCGB aurait été prêt, malgré son radicalisme verbal, a avaler des couleuvres supplémentaires telles que le non-réajustement des retraites. Enfin le Landesverband, qui n’a pas participé à la tripartite, estime que les résultats, malgré quelques avancées et un contexte difficile pour l’OGBL, constituent une „redistribution du bas vers le haut, sans contrepartie reconnaissable de la part du patronat“. Wennmacher le dit clairement: „L’accord ne nous satisfait pas. On a fait des cadeaux aux patrons.“

Les nerfs à vif

Mais pourquoi donc un tel sentiment d’isolation, alors que le gouvernement actuel comprend des ministres socialistes? Cette question a le don d’irriter certains dirigeants de l’OGBL, qui ne font pas grand cas de leurs alliés historiques. La seule évocation de Jeannot Krecké, le ministre de l’économie encarté au LSAP, a la capacité de faire fuser des qualificatifs assez déplaisants. Pendant les négociations, il aurait été celui ayant donné le plus de fil à retordre aux syndicalistes … pour le plus grand plaisir des représentants patronaux. Lors du vote au sein du comité national de l’OGBL, bon nombre des 26 voix hostiles à l’accord tripartite étaient issues des milieux les plus proches du LSAP. Lorsque Serge Urbany, ancien député de déi Lénk, qualifie, dans le dernier numéro de goosch.lu, la Chambre des députés de „réactionnaire“, il n’y a guère que le choix des mots qui distingue son analyse de celle des ténors de l’OGBL. Interrogé par le woxx au sujet du LSAP, Jean-Claude Reding se montre bien plus diplomatique. Refusant de s’immiscer dans des affaires partisanes, il estime que „ce parti doit se poser lui-même la question de savoir où il en est“. C’est d’ailleurs ce que certains membres ont commencé à faire. Au congrès de mars du LSAP, une motion des Jeunesses socialistes très critique envers la politique des ministres socialistes au sein de la coalition avait réussi à recueillir 73 signatures de délégué-e-s (voir woxx no 843).

Seul contre tous

Le LSAP serait-il en train de se découpler de sa base syndicale? Aux yeux d’un fonctionnaire dirigeant de l’OGBL, seuls Vera Spautz – ancienne vice-présidente du syndicat – et John Castegnaro trouvent encore grâce. Mais l’OGBL vit avec une autre crainte: en 2009, il est possible qu’on assiste au retour du DP au gouvernement, voire à la première participation gouvernementale des Verts. Aucune des deux perspectives ne réjouit l’OGBL. Surtout que le système de l’indexation des salaires est constamment remis sur la sellette et a pu cette fois-ci n’être sauvé que de justesse.

Confronté à la difficulté de mobiliser ses troupes et assiégé politiquement dans un contexte général de contre-réformes libérales, l’OGBL semble être en train de prendre conscience de la nécessité d’une mutation dans son approche. En commençant par le style du dirigeant: la méthode de l’ancien instituteur Reding repose plus sur les analyses de fond que l’attitude tribunicienne de son prédécesseur. Aussi, des collaborateurs saluent la capacité de dialogue du nouveau président – avant, le syndicat était plutôt dirigé à la baguette.

Mais d’autres questions de fond subsistent, comme celui du sacro-saint consensus social. Car si les syndicats perçoivent la paix sociale comme un atout pour attirer des entreprises et des emplois, celle-ci a son prix. A tel point qu’ils s’estiment heureux lorsqu’ils parviennent à limiter les pertes. „Le principe de la paix sociale risque de se transformer en cercle vicieux si les syndicats sont les seuls à faire des compromis“, juge Reding pour qui les syndicats doivent devenir „plus offensifs“. D’autant plus qu’il y a des forces au sein de la classe politique et dans le patronat qui sont hostiles au système tripartite. Et d’ajouter que même si ce système peut présenter des avantages pour le salariat, „il ne doit pas forcément y avoir de tripartite. Tout dépend des capacités de mobilisation“.


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