HISTOIRE: Mémoire volatile

On ne parle plus guère du « Maulkuerf-Referendum » d’il y a 75 ans. Pendant longtemps pourtant, il donna la possibilité aux éditorialistes progressistes de vanter la supposée clairvoyance du peuple luxembourgeois.

Selon Wikipédia, on distingue, en informatique, entre une mémoire où les informations sont gardées lors de la mise hors tension de l’appareil, et celle où elles sont perdues. On peut penser que le concept est transposable sur la mémoire humaine, en se rappelant que nous avons vécu, le 6 juin dernier, le 75e anniversaire du référendum contre la « loi-muselière ». Le seul à l’avoir véritablement commémoré semble avoir été Déi Lénk avec une conférence-débat lundi dernier.

Dans le deuxième tome fraîchement sorti de « Lieux de mémoires au Luxembourg », Henri Wehenkel vient de décrire le temps fort de la commémoration de cet évènement que fut la période des années 60 à 90 du siècle précédent. Et par rapport au silence qui semble tomber sur un sujet qui produisait encore de vives polémiques lors du cinquantenaire en 1987, il pose la question si « la mémoire de juin 1937 est désormais partagée par tous » ou si elle doit faire face à « une indifférence et un oubli définitif, les antagonismes anciens s’étant effrités ». En effet, en parcourant le catalogue de la Bibliothèque nationale, on s’aperçoit que le référendum de 1937 a pendant de longues années porté en lui la tension nécessaire à la survivance de sa mémoire. Le référendum par lequel Joseph Bech, le premier ministre conservateur de l’époque, avait voulu faire plébisciter sa « loi sur la protection de l’ordre politique et social », lisez sur l’interdiction du parti communiste, avait été remporté de justesse par ses adversaires.

Si la dispute politique entre gauche et droite sur la voie prise par Bech en direction d’un système a refait surface après la Guerre froide, c’était surtout la gauche radicale visée en premier lieu par Bech, qui récupérait le sujet, les sociaux-démocrates, les syndicats et même le parti libéral se joignant à une lecture de l’évènement comme expression d’un antifascisme, voire d’une résistance luxembourgeoise avant la lettre. Et si un Gilbert Trausch osa en 1977 déjà se livrer à une analyse historiographique, il le fit d’abord dans le Lëtzebuerger Land et non pas dans le Luxemburger Wort. Cela ne fut le cas que dix ans plus tard.

Avec le temps, la brève victoire des forces progressistes contre les tentatives d’instauration d’un régime autoritaire au Luxembourg est devenue un incident mémorable mais inoffensif. Par contre, leur critique du rôle douteux de Bech n’a jamais été acceptée par les penseurs du courant chrétien-social. Pire, la droite n’a pas saisi les nombreuses occasions qui se présentaient depuis, pour prendre ses distances vis-à-vis de ce « père de l’Europe » à l’air bonhomme et jovial. Ainsi encore dans la récente histoire du CSV, la dérive de Bech est minimisée, Trausch le situant dans la tradition du politicien censitaire du 19e siècle. Mais même Wehenkel a caractérisé Bech, dans son discours de lundi, de « Realpolitiker » sous pression du mouvement catholique voire de l’Allemagne nazie. N’est-ce pas limiter sa responsabilité dans la sape du système démocratique d’avant-guerre ?

Si aujourd’hui, la mémoire du référendum semble se volatiliser, ce n’est peut-être qu’un indice du fait que l’exercice même de la commémoration semble tomber en désuétude à gauche. Les manifestions de 1er mai se transforment en fêtes de famille. Lors de l’anniversaire de la Commune ou des célébrations en mémoire des brigadistes, les rangs sont clairsemés. Et si parmi le jeune parti Déi Lénk, on semble trouver goût à établir, par le biais de conférences commémoratives, des parallèles entre faits historiques et actualité politique, ces références à l’histoire du mouvement communiste sont bien sélectives, alors que les mêmes acteurs qui ont remporté la victoire contre la loi muselière ont succombé à la tentation du modèle autoritaire soviétique. D’un autre côté, les partis à droite de la gauche radicale se rendent peut-être davantage à l’évidence qu’il y a quelques décennies, le rôle de leurs propres pionniers politiques n’était pas si glorieux : ni lors du référendum, ni dans toute la phase de remise en question de la démocratie luxembourgeoise des années trente.


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