« Dans la maison », le dernier-né de François Ozon, est une fable littéraire dans laquelle le spectateur peut éprouver un léger tournis. C’est réussi, mais ça reste très franco-français.

Une relation professeur-élève plutôt malsaine.
Monsieur Germain est un professeur de lycée français comme croqué d’un manuel de clichés. Bourgeois-bohème, ancien soixante-huitard converti au pessimisme culturel grâce au contact permanent avec les jeunes générations qu’il est censé élever au rang d’élite, il est aussi un écrivain raté – qui a publié un seul bouquin dans sa fougue de jeunesse, sans lui donner suite. Marié à une galeriste, mais portant l’art contemporain en horreur, il est un homme brisé, mais qui ne le sait pas encore.
Puis, à la rentrée de son lycée « Gustave Flaubert », il fait la connaissance de Claude Garcia, un élève de seconde un peu particulier. Ayant demandé une petite rédaction à sa nouvelle classe – pour mieux pouvoir les classer entre « nuls » et « archi-nuls » – l’élève Garcia surprend le bobo vieillissant. Non seulement par son style plus que soutenu qui apparaît dans les lignes de sa rédaction, et la quasi-absence de fautes, mais surtout par son contenu : Claude Garcia raconte comment, par ruse et par une fausse amabilité, il réussit à s’introduire dans la maison et la famille d’un de ses camarades de classe, un certain Raphaël Artole. Celui-ci est un élève plutôt timide et pas trop brillant, surtout en mathématiques, la matière de prédilection de Claude. Petit à petit, deux relations s’installent : celle de Claude et de Raphaël et celle qu’entretient le professeur Germain avec l’auteur-voyeur. Car Claude n’en reste pas là et donne chaque semaine des nouvelles de ses excursions dans l’intimité familiale des Artole à Monsieur Germain. Ce dernier lui en demande toujours plus et commence petit à petit à se considérer en tant que mentor d’un nouveau génie littéraire précoce, un peu comme jadis Jean Cocteau avec Raymond Radiguet. Pourtant, la nouvelle version de « Le diable au corps » commence vite à traîner des pieds et le maître et son élève ne vont pas tarder à s’embrouiller, marchant côte à côte vers l’imbroglio final.
Si au début on est tenté de se dire que des pseudo-documentaires sur l’enseignement républicain français, on en a assez vu depuis le succès de « Etre et avoir » en 2002 ou « Entre les murs » en 2008, on se rend compte assez vite que François Ozon n’utilise ce nouveau genre que pour mieux le détourner – un peu comme les objets dans la galerie d’art de Madame Germain, qui ne sont souvent que des objets détournés. Le vrai centre du film est la maison familiale des Artole : la mère Esther qui devient l’héroïne des phantasmes sexuels de Claude, Raphaël senior, le père, qui rêve du grand business en Chine et puis le petit « Rapha », un faiblard pas doué et pas sûr de lui. François Ozon remplace habilement la question, « Jusqu’ou peut-il aller ? » par l’interrogation, plus tentante : « Jusqu’où est-il allé ? ». Car assez vite, les contours de la réalité et de la fiction s’estompent et on ne sait plus distinguer les actes de Claude de ses phantasmes. Et tous les participants à cette intrigue commencée par une simple rédaction ne vont pas sortir indemnes de l’affaire.
La mise en scène de « Dans la maison » est soignée, esthétisée comme on le connaît d’Ozon. Sa préférence – très française – de démasquer les frasques de la bourgeoisie imbue d’elle-même porte à nouveau ses fruits, certes un peu bizarres, mais très beaux en somme. Et puis, avec des acteurs comme Fabrice Lucchini, Kristin Scott-Thomas ou encore Emmanuelle Seigner, il est difficile de rater son coup. Pourtant – et même si un film sur l’amour de la littérature est très louable – Ozon ne réussit pas à briser les murs de cet univers littéraire très français et de son enseignement très élitiste en somme. Est-ce un vrai reproche à faire à un réalisateur français, après tout ? On ne le sait pas, mais en tout cas, vous aurez été avertis.
A l’Utopia.