ADR: Si, ils veulent?

Qui est l’ADR ? Et comment se positionne-t-il dans un monde politique toujours plus fade, consensuel mais aussi plus opaque ? A l’occasion de son 25e anniversaire, le parti le plus curieux du pays a donné à voir ses mécaniques intérieures.

Un parti qui – même après 25 ans d’existence – reste dans le flou artistique : l’ADR.

Un événement comme un 25e anniversaire est toujours une occasion idéale pour regarder à l’intérieur d’un parti. Et la cérémonie commise en grandes pompes par le parti alternatif, démocrate et réformateur (ADR) a montré du moins comment il souhaite être perçu : un contre-courant, un peu contre tout mais aussi avec certains marqueurs très clairs en ce qui concerne la culture et l’identité nationale. Comment expliquer autrement la présence du grand-duc Henri à cette cérémonie, qui, après tout, n’est pas à classer parmi ses déplacements officiels ? Après la vague de scepticisme à l’égard d’une monarchie jugée éloignée de la réalité sociale et économique du pays à cause des fastes du mariage princier, l’invitation de l’ADR, qui le met en avant comme un atout, a dû mettre du baume au coeur du monarque. Une situation gagnant-gagnant assez classique en somme. L’ADR peut se positionner en champion du souverainisme et le grand-duc peut passer une soirée avec des fidèles totalement acquis à sa cause.

Mais d’un autre côté, on aurait eu du mal à voir le premier ministre Jean-Claude Juncker proférer un discours à la gloire de l’ADR, vu que Mister Euro est aussi un de ses pires détracteurs, surtout parce qu’en 1994, il avait juré se dévouer corps et âme à la destruction de l’ADR. Une mission pas vraiment accomplie, puisque l’ADR, même s’il n’a toujours pas obtenu la respectabilité qu’il revendique depuis ses premiers jours et n’est toujours pas perçu comme un parti « coalisable » par la concurrence politique – qu’elle soit au pouvoir ou dans l’opposition – peut toujours compter sur un socle électoral stable – jamais en dessous de sept pour cent – depuis sa première participation aux élections de 1989. Mais qui sont ces gens ? A regarder dans la salle, on voyait que l’électorat premier de l’ADR, les retraités, est toujours plus nombreux que pour d’autres partis politiques. Cela tient aussi probablement au fait que la première revendication de l’Aktiounskomitee 5/6 Pensioun fir jiddfereen, le premier avatar du parti, a été transposée, du moins partiellement, dans la réalité. Les retraites, dans le privé comme dans le public, sont de nos jours plus rapprochées et équivalentes. Pourtant, si le mouvement a débuté avec cette revendication, il a vite été contraint à en rajouter afin de maintenir la dynamique des premiers jours.

Et ainsi est né un parti unique au Luxembourg, peut-être même en Europe. Un parti dont les contours n’ont jamais été très clairs, dont on savait pertinemment contre quoi il protestait, mais jamais vraiment pour quelles idées il s’engageait positivement – les 5/6 des retraites pour tout le monde mis à part. C’est peut-être aussi cette attitude cabocharde – cette « Toxkäppegkeet » bien luxembourgeoise – qui l’a rendu sympathique aux yeux de tant d’électeurs luxembourgeois, soucieux de leur identité nationale. Parce que ce sont bien ceux-là qu’il vise en ce moment et depuis 2007. Et depuis l’OPA de l’Association des hommes du Luxembourg (AHL) de Fernand Kartheiser, l’ADR s’est doté un profil plus clairement identifiable : souverainiste, conservateur et économiquement libéral. L’idée de se positionner à droite de l’échiquier politique est issue d’une double stratégie : celle de mettre fin aux incertitudes concernant l’appartenance idéologique du parti et celle de se rapprocher de l’électorat traditionnel du CSV, désenchanté par son usure par le pouvoir et surtout pour ses positionnements considérés par l’ADR comme trop progressistes dans des dossiers sociétaux comme l’euthanasie, le mariage gay ou encore l’avortement.

Toxkäppegkeet

Cette stratégie a aussi fait des dégâts au sein du parti. Le plus important fut la défection, en mai 2006, de leur député du Sud Aly Jaerling – qui a quitté le parti pour échapper à son « nationalisme agressif » et son abandon de la position « ni droite, ni gauche », ce qui faisait qu’il se sentait comme un « corps étranger » au sein de l’ADR. Le prix à payer était la perte du statut de fraction parlementaire (le nombre minimal de sièges pour pouvoir prétendre à ce statut étant fixé à cinq) et donc d’une grosse somme d’argent public qui a manqué au parti en 2009. De plus, même aux dernières élections, l’ADR n’a pas réussi à recouvrer son statut en perdant son député de l’Est, ne conservant que quatre députés seulement. Faut-il ajouter que le nom d’Aly Jaerling ne fut pas mentionné une seule fois lors de la cérémonie au Kinneksbond de Mamer – même pas lors de la longue revue historique de Roby Mehlen ?

Un autre aspect qui a été soigneusement tu au cours de la cérémonie, ce sont les accusations de populisme, de racisme et de positionnement à l’extrême droite. Si le politologue Philippe Poirier écrit dans son essai publié dans la brochure festive que « l’ADR ne peut être raisonnablement considéré comme une formation politique de droite extrême », avant de relativiser en disant tout de même que « l’importance du discours nationalitaire crescendo depuis 1989 (?) lui a permis de médiatiser dans l’arène politique », il occulte les événements de l’été 2011, où une grande partie du comité de son organisation de jeunesse, l’Adrenalin, démissionnait justement à cause de tendances d’extrême droite manifestes. Depuis, la polémique autour de ces jeunes attirés par des idées extrêmes et militants ADR n’a pas cessé. En juin de cette année – après un article paru dans le magazine « forum » – elle se soldait même par deux départs parmi des membres du comité de l’Adrenalin, Dany Sobral et Timon Müllenheim, jugés intenables par la direction du parti. Les deux ont depuis rejoint les rangs de la « Luxemburg Defence League » – une organisation qui clame haut et fort les valeurs de partis extrémistes de droite et qui se dit solidaire d’organisations de l’extrême droite dure et islamophobe comme l’English Defence League.

Droitisation

Depuis cette nuit des longs couteaux, les vagues se sont un peu calmées, mais le doute persiste, puisque le contact avec des organisations d’extrême droite est indéniable. Pourtant, il est toujours difficile de placer définitivement l’ADR dans une catégorie – ce n’est pas pour rien que Philippe Poirier revient souvent sur une évolution « inachevée » du parti dans son essai – ne serait-ce que parce que dans ses documents officiels, on retrouve bien une ligne souverainiste, eurosceptique et identitaire, mais aucune des revendications ne dépasse le consensus rationnel et mainstream sur ces questions. Disons-le ainsi : si l’ADR n’est pas un parti d’extrême droite, il veille à ne pas en devenir un. Car le vote d’extrême droite existe aussi au grand-duché et l’ADR n’a sûrement rien contre ces voix. Il doit juste se garder de ne pas basculer.

D’un autre côté, la transformation de l’ADR en parti conservateur classique n’est pas vraiment facile, ni encore vraiment achevée. Il reste toujours l’ancienne garde autour de Gast Gibéryen ou Roby Mehlen qui n’a pas encore assimilé à cent pour cent ce nouveau profil. Sans parler de leur député Jean Colombera, qui, avec son militantisme pour la légalisation des cannabinoïdes dont découlent ses démêlés avec la justice, fait agréablement contraster l’ADR avec d’autres partis, et n’est pas vraiment dans la logique conservatrice qui défend une ligne dure dans la « guerre » contre les drogues. Mais cette particularité n’a pas été thématisée à la célébration. Ce qu’on a pu y voir, c’est un parti qui cherchait à se donner une légitimité sur le plan national comme sur le plan européen. Sur ce dernier, il est d’ailleurs, même sans eurodéputé, affilié à l’Alliance des conservateurs et réformistes européens (AECR), dont fait partie le parti conservateur britannique actuellement au pouvoir. La lecture d’un mot de son chef de file et actuel premier ministre David Cameron, était l’apothéose de la consécration. La mise en scène de l’ADR était une tentative de dépasser son image d’opposition éternelle et de se placer dans un paysage politique qui jusqu’à présent s’est complu à l’ignorer. Pas sûr pour autant que les autres partis vont le suivre dans cette logique.


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