« La religieuse » de Guillaume Nicloux est un film d’auteur subtil qui démontre que religiosité et institution cléricale peuvent être deux mondes opposés.
Publié à titre posthume, en 1796 le roman « La religieuse » de Denis Diderot a déjà été porté à l’écran par Jaques Rivette en 1966 et vient d’être remis au goût du jour par Guillaume Nicloux. Le réalisateur du « Concile de Pierre » revisite ce drame à sa manière. Proche du roman et du premier scénario de Jean Grulault et de Rivette, l’adaptation de Nicloux est plus violente et plus réaliste.
Dans la France prérévolutionnaire du 18e siècle, la jeune Suzanne de Simonin se voit contrainte d’entrer dans les ordres contre son gré, pour expier le péché commis par sa mère de l’avoir eue hors mariage. Son histoire met en lumière les différentes facettes de la vie cléricale: d’une existence paisible, elle passera à la condition de prisonnière. Elle devra subir l’enfermement, la privation, l’humiliation morale et physique ainsi que l’affection déplacée de sa supérieure. Ce long-métrage est la peinture de sa révolte et de son combat pour recouvrir sa liberté.
Dans ce récit introverti, le spectateur doit se mettre dans la peau de la protagoniste et partager ses tourments. Très calmes, très silencieuses les images n’encouragent pas l’empathie envers Suzanne. Les sentiments des personnages sont très maîtrisés, les dialogues incisifs, construits et concis. A cela s’ajoute le langage soutenu qui caractérise non seulement l’époque mais reflète bien la retenue des personnages.
La force de la protagoniste réside dans son honnêteté. Malgré le fait qu’elle soit présentée comme une victime, la candeur de son âge lui attribue tout le paradoxe de l’endurance de sa condition et de la révolte qui l’anime. Son combat est quasiment atone, presque passif. L’écriture est l’instrument premier de celui-ci. A travers ses mémoires elle raconte non seulement sa souffrance mais engage aussi sa lutte. L’écriture est également son seul moyen de contact avec l’extérieur, une fenêtre vers le monde auquel elle aspire tant. Par extension, l’écriture devient son unique espoir et sa seule échappatoire.
Pourtant son dégoût pour la vie de religieuse n’affecte pas sa croyance. La prière n’est pas juste une de ses nombreuses obligations mais également refuge et espoir. Ce ne sont donc pas la religion ou la croyance qui sont remises en cause, mais bien la vie cléricale et le fonctionnement de l’Eglise. La vision de la vie au couvent critique aussi l’image de la vie en communauté féminine. De la cruauté à la perversité, la femme d’église semble sujette à toute sorte de péchés tandis que dans l’ombre l’homme d’église ou civil apparaît comme un protecteur, un sauveur.
La sobriété des discours, des décors et de l’action sont mis en valeur par un éclairage naturel. Et l’absence de musique hormis les chants religieux renforce l’introversion des personnages, les rares émois en ressortent d’autant plus prenants. Les images très symboliques remplacent le discours et comblent le silence. Dans le rôle principal de Suzanne de Simonin, la jeune actrice Pauline Etienne sait convaincre, surtout à travers son langage corporel.
L’atmosphère pensive, absorbée du film met le spectateur quelque peu à distance, ce qui est une approche tout à fait appropriée pour intégrer un spectateur moderne à un récit régi par une idéologie qui est dépassée de nos jours. Nicloux réussit par la force symbolique des images, le dépouillement des décors ainsi que le jeu d’acteurs sur la retenue et le déroulement assez lent et oppressant de l’action, un tour de main remarquable, forçant le spectateur à adhérer totalement à l’esprit du récit. « La religieuse » est un film d’auteur qui ne devrait pas passer inaperçu dans sa catégorie.
A l’Utopia.