BONNES FEUILLES (5/6): Les SS luxembourgeois

La cinquième partie des bonnes feuilles du mémoire de thèse de Vincent Artuso sur la collaboration évoque un chapitre particulièrement sensible : la présence de Luxembourgeois dans les rangs de la Waffen SS. Contraints ou volontaires, le destin de ces jeunes recrues fait aussi miroiter le déchirement du pays face à l’oppresseur allemand.

Uniformes noires et bon statut social : Les membres de la Vdb exerçaient une fascination malsaine sur beaucoup de jeunes Luxembourgeois

Des Luxembourgeois servirent les autorités d’occupation allemandes en France et en Belgique, d’autres s’engagèrent volontairement dans les forces armées du Reich. L’historien Paul Dostert estime qu’ils furent près de 1.500. Le nombre de volontaires de guerre fut donc proportionnellement plus élevé au Luxembourg qu’en Moselle ou en Alsace, mais égal ou même légèrement inférieur qu’en Belgique ou aux Pays-Bas. Dostert tente d’expliquer ce chiffre élevé par l’existence au Grand-Duché d’une forte communauté allemande (près de 4 pour cent de la population avant l’invasion). Cette explication est plus qu’improbable. Les Allemands installés au Luxembourg n’eurent pas à s’enrôler puisqu’ils furent mobilisés à partir d’octobre 1940, de la même manière que s’ils avaient résidé dans leur pays natal. Les questions de nationalité expliquent aussi que l’écrasante majorité des volontaires de guerre luxembourgeois combattit dans les rangs de la Waffen-SS. Ceux-ci étaient ouverts aux étrangers, alors qu’il fallait être ressortissant allemand pour servir dans la Wehrmacht.

Certains Luxembourgeois signèrent leur engagement sous la contrainte, d’autres furent trompés. Il y avait aussi ceux qui se destinaient à une carrière militaire, quel que soit le maître à servir, et ceux qui voulaient simplement voir du pays, échapper au quotidien ou à un destin tracé d’avance. En bref, des jeunes hommes qui se seraient laissé embrigader de la même manière, quelle que soit l’époque et quel que soit le régime. Si le Luxembourg était un Etat neutre depuis le traité de Londres de 1867, sa longue tradition militaire avait perduré à travers la Compagnie des volontaires, mais davantage encore à travers l’engagement ininterrompu de jeunes Luxembourgeois dans des armées étrangères. Le nombre de vétérans luxembourgeois de la Légion étrangère française qui combattirent volontairement au sein de la Waffen-SS est à ce titre révélateur. Enfin, nombre de volontaires s’engagèrent par conviction idéologique.

Michel S. peut être rangé dans la catégorie des engagés contraints. Né en 1919 à Kayl, ce mineur de profession avait combattu dans les brigades internationales aux côtés des Républicains espagnols. Le 31 janvier 1941, il fut arrêté pour ce motif par la Gestapo. Il resta emprisonné pendant huit mois, au bout desquels il accepta le marché qui lui fut proposé et s’engagea dans la Waffen-SS. Il combattit en son sein jusqu’au moment de sa capture, en avril 1945.(…)

Les Allemands ne recouraient pas toujours au chantage, ils pouvaient aussi manier la tromperie, notamment en utilisant la police luxembourgeoise comme couverture. Bernard A., apprenti pâtissier, avait par exemple signé son contrat en juin 1941, à l’âge de 17 ans. Durant son procès, il déclara qu’il s’était laissé convaincre par un homme qui l’avait abordé sur son lieu de travail, en se faisant passer pour un policier luxembourgeois. La cour convint qu’à cette époque agissaient au service de la Hilfspolizei et de la Waffen-SS des agents recruteurs, qui portaient de préférence l’uniforme luxembourgeois. Cela apparaît aussi à la lecture du dossier Peter B., qui s’engagea sur les conseils d’un officier de police allemand du nom de Peickert. En sa qualité d’agent recruteur, par l’intermédiaire de policiers luxembourgeois, ce dernier parvint à convaincre plusieurs jeunes hommes de Kayl de rejoindre les forces armées allemandes.

Les rangs de la Waffen-SS étaient ouverts aux étrangers, alors qu’il fallait être ressortissant allemand pour servir dans la Wehrmacht.

Le fait que des hommes portant l’uniforme luxembourgeois – dont certains étaient effectivement des policiers grand-ducaux, comme l’indiquent certains passages pour le moins pudiques des dossiers de l’épuration – les aient encouragés à s’enrôler, fut probablement un facteur psychologique déterminant pour certaines jeunes hommes en mal d’aventure. Dès lors que cette démarche était présentée comme licite, quel mal y avait-il à s’engager dans les forces armées allemandes ? D’autres avant eux avaient choisi cette même voie, la seule différence étant que la puissance de référence n’était plus la France mais l’Allemagne.

Josef F., né en 1921, avait tenté de s’enrôler dans la Légion étrangère à 16 ans, mais sa mère l’avait rattrapé à Metz et ramené au pays. Cadet d’une famille de 16 enfants et orphelin de père, il avait été très tôt déscolarisé pour subvenir aux besoins des siens. En juillet 1941, il s’engagea finalement dans la Waffen-SS et fut affecté à la division Totenkopf. Johann-Peter M., peintre en bâtiment eschois né en 1921, avait quant à lui été évacué sur Lodève, dans le département de l’Hérault, au moment de l’invasion allemande et y avait rejoint la Légion luxembourgeoise. Ce qui deux ans plus tard ne l’empêcha pas de se porter volontaire dans la Waffen-SS. Jugé en janvier 1947, il expliqua qu’il s’était engagé pour échapper à la tutelle oppressante de son beau-père. Joseph S., lui, était orphelin. Son père était mort peu de temps après sa naissance et il perdit sa mère alors qu’il avait 16 ans. Deux ans plus tard, alors qu’il gagnait sa vie en tant que domestique, il se laissa convaincre de s’engager dans la Waffen-SS. Christoph B., enfin, rejoignit la Waffen-SS avec quatre amis à l’issue d’une nuit de beuverie, au cours de laquelle ils avaient croisé le chemin d’un agent recruteur.

Que des raisons personnelles aient pu jouer un rôle n’implique pas forcément l’absence complète de motivations politiques. Après la guerre, l’engagement volontaire dans les forces armées allemandes fut sévèrement puni par la justice luxembourgeoise, surtout s’il était établi qu’il n’avait été obtenu ni sous la contrainte, ni par la tromperie, ou que l’accusé s’était distingué par des faits de collaboration durant ses périodes de résidence au Luxembourg. Les accusés avaient donc tout intérêt à plaider la peur ou la naïveté. C’est ce que montre notamment le dossier René Peter M.

L’enquête de voisinage menée sur sa personne laisse entrevoir un jeune homme discret et plutôt apprécié. Son adhésion à la VdB, en août 1940, n’était pas un mystère, mais les personnes interrogées l’attribuèrent plus tard à l’influence de son père, un commerçant en charbons et pommes de terre de Schifflange, qui avait été pro-allemand durant les premiers mois de l’occupation. René Peter M. n’avait, selon les témoins, jamais exprimé de convictions pro-nazies, ni exercé de pressions sur ses concitoyens. Aussi son engagement volontaire dans la Waffen-SS avait-il surpris. Mais, une fois de plus, c’est l’ombre du père qui fut invoquée. René Peter M. avait, pensait-on, choisi de revêtir l’uniforme allemand pour fuir le domicile familial. Un élément contredit cependant cette vision des choses, sur laquelle René Peter M. bâtit évidemment sa défense

En août 1942, René Peter M. adressa une lettre au Kreisleiter de Luxembourg. Se targuant de son engagement volontaire en février 1941, il y expliquait qu’après deux mois d’instruction, il avait été affecté à la division Totenkopf, avec d’autres Luxembourgeois. L’un d’entre eux avait trouvé la mort au combat : « Mon camarade de Schifflange, le SS Johann P. fait partie de ceux qui, à l’Est, sont déjà tombés pour le Führer et la Patrie. C’était un authentique SS. Son honneur s’appelait fidélité. Honneur à sa mémoire. »

Quelques mois plus tard, M. rejoignit le service des reporters de guerre SS (Kriegsberichterabteilung), à Berlin, en tant que chauffeur : « Je suis de retour au front depuis le 20.6.42 et je viens de prendre part à la titanesque offensive qui nous a menés de Rostov au Caucase. Cela fut dur et éprouvant. Mais l’énorme succès nous galvanisait. Les yeux enflammés, le courage trempé dans l’acier, nous ne cessâmes de progresser. Par delà les montagnes et les marais, le long des chemins et des routes poussiéreuses, cahoteuses, couvertes de boue, à travers les fleuves et les forêts vierges, les champs de blé, de maïs et ainsi de suite. Mais demain, comme hier, le soldat allemand franchira tous les obstacles. La victoire sera nôtre. Rien, mais vraiment rien, ne nous en fera démordre. Aussi loin que porte le regard, on découvre des êtres vigoureux et bronzés, aux traits énergiques. Même les attaques aériennes nous laissent de marbre. » La missive se terminait par une demande d’adhésion au parti nazi et par la formule : « VICTOIRE et SALUT, à notre Führer bien aimé (SIEG und HEIL, an unsren geliebten Führer). » (?)

A côté des fanatiques, les adolescents endoctrinés représentent une autre sous-catégorie des Luxembourgeois combattant dans la Waffen SS. L’administration civile avait beaucoup misé sur la jeunesse luxembourgeoise, qu’elle tentait d’opposer au monde adulte d’avant l’occupation, dépeint comme médiocre, dépassé et mesquin. Certains adolescents furent visiblement sensibles à la propagande vitaliste, volontariste et virile du national-socialisme, qui tranchait tant avec le conformisme de la société luxembourgeoise de l’époque.

Paul-Albert-Joseph N. n’avait que 18 ans quand il adhéra à la VdB. Quelques mois plus tard, il devenait l’un des dirigeants des Jeunesses hitlériennes de sa ville natale de Grevenmacher. En 1941 il exprima le souhait de s’engager volontairement dans l’armée allemande mais, étant mineur, il lui fallait au préalable obtenir l’autorisation de son père. Lorsque celui-ci la lui refusa, N. le dénonça au commandement militaire (Wehrbezirkskommando) dont dépendait le Luxembourg. Dans sa lettre de dénonciation, il accusa son père de germanophobie, ajoutant qu’il écoutait régulièrement la BBC et que, tout comme les autres membres de la famille, le bruit des moteurs d’avions britanniques le mettait en joie. Le résultat fut que la radio de la famille fut confisquée et que le père de N. dut céder à son fils. Le cas de Roger M. est encore plus troublant puisque ce membre zélé des Jeunesses hitlériennes s’engagea à l’âge de 16 ans et ce en juin 1944, à un moment où même les plus convaincus commencèrent à douter sérieusement des chances de l’Allemagne de remporter la victoire.

« Mon camarade de Schifflange, le SS Johann P. (?) était un authentique SS. Son honneur s’appelait fidélité. Honneur à sa mémoire. »

Si les tribunaux d’après-guerre firent preuve d’une certaine mansuétude à l’égard de ceux qui s’étaient engagés alors qu’ils étaient mineurs, il n’en fut pas de même pour les cadres adultes d’organisations pro-allemandes. (?)

Le plus doctrinaire et le plus haut gradé des volontaires luxembourgeois fut probablement Karl K. Issu d’un milieu modeste – son père était garde forestier dans la région de Grevenmacher -, ce garçon intelligent fut admis à l’Athénée de Luxembourg en 1934, où il côtoya les fils de l’élite luxembourgeoise. En 1936, il participa à la fondation de la Luxemburger Volksjugend et prit la tête de sa section lycéenne. Un ancien camarade de l’Athénée fit de K. la description suivante : « C’était un fervent nazi. Il ne faisait pas mystère de ses convictions. Il portait aussi l’uniforme des Jeunesses hitlériennes. Je crois même qu’avant l’introduction de cet uniforme, il se promenait déjà en chemise blanche et pantalon noir. Il était un élève particulièrement intelligent. Il avait un grand potentiel. J’ai le sentiment qu’il se dévoua au nazisme par idéalisme. » (?)

C’est après avoir obtenu son baccalauréat que K. rejoignit la Waffen-SS. Sa première affectation remontant au 15 janvier 1942 – un mois plus tôt il avait par ailleurs reçu sa carte de membre du NSDAP. Comme de nombreux autres volontaires de guerre luxembourgeois, il servit au sein de la division Totenkopf. Les lettres du front qu’il écrivit au Gauleiter, au Kreisleiter ainsi qu’à des camarades luxembourgeois témoignent, aussi bien sur le fond que dans la forme, de l’engagement total de K. La première révèle qu’à 24 ans il devint le plus haut gradé des volontaires luxembourgeois dont le dossier nous soit parvenu : «  Mon cher camarade ! Notre commandant m’a appris aujourd’hui que le Reichsführer-SS m’a élevé au grade d’Untersturmführer de la SS, et donc d’officier de la Waffen-SS, avec effet au 30 janvier 1944. C’est donc avec fierté que je porte à partir de maintenant les galons d’un lieutenant de la Grande Allemagne. » Tout à sa satisfaction, il n’en oubliait pas moins ses compagnons d’armes, qui avaient participé à des combats particulièrement âpres sur le front roumain, durant les précédents mois : « Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que ces hommes endurent et accomplissent. Les odes aux héros de l’histoire mondiale font pâle figure comparées au dévouement sans ostentation avec lequel ces braves s’acquittent de leur devoir. De plus le moral reste excellent ; tant que nous aurons de tels hommes, nous ne pourrons perdre la guerre. N’oubliez jamais cela au Luxembourg, lorsque vous êtes confrontés à la lâcheté anglomane des esprits mesquins. Là où je me trouve, je suis plus que jamais convaincu de la sacrosainte nécessité de notre victoire finale. »

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Aventuriers, nazis fervents ou contraints :

L’avant-dernière partie de notre série extraite du mémoire de thèse de Vincent Artuso (à paraître aux éditions Peter Lang ISBN 978-3-631-63256-7) évoque le sort des Luxembourgeois engagés aux côtés de la Waffen-SS, révélant que certains avaient même rejoints la division « Totenkopf », une des plus brutales sans doute. Dans notre prochaine et dernière partie, à paraître dans deux semaines, nous reviendrons sur les conclusions de l’historien – désormais en charge d’enquêter sur la collaboration administrative luxembourgeoise.

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Légende :

VdB : Mouvement volksdeutsch, instauré avant l’invasion, il servait principalement à gagner la confiance de la population luxembourgeoise.
Waffen-SS, divisions « Totenkopf » : division formée entre autres des unités SS en charge des camps de concentration.


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