EDUCATION NON FORMELLE: Gagnant-gagnant ?

Le personnel peu qualifié dans le système de l’éducation non formelle ? une situation « win-win » ? Pour la Caritas, organisatrice d’une conférence intitulée ainsi, la réponse à la question posée était claire.

Le secteur du social a connu, ces dernières années, une véritable explosion. C’est surtout l’instauration des chèques-service, rendant l’accès aux maisons relais et aux crèches plus facile et moins cher, qui a permis de créer un nombre considérable de nouveaux emplois. Probablement un des seuls secteurs en plein essor, le social ne réussit pas à former le personnel dont il a besoin, et doit forcément avoir recours à des personnes peu, voire non-qualifiées. Dans ce contexte, Caritas, aux côtés de partenaires nationaux et européens, organise des formations de base d’une durée de 100 heures, afin de former un minimum ces personnes travaillant souvent avec les plus jeunes des enfants. Les participants sont, pendant trois mois, formés sur des questions d’éducation, de développement de l’enfant, de nutrition, de sécurité et d’hygiène. Est-ce suffisant ?

Reflet de la société

N’est-ce pas justement dans ce domaine qu’il nous faut des personnes qualifiées, des experts en la matière ? A en croire le professeur Urban, enseignant à l’université de Roehampton à Londres, « le savoir-faire des experts devient de plus en plus discutable ». Dans une société en évolution permanente, qui peut savoir ce qui sera bon pour nos enfants dans vingt ans ? Selon Urban, c’est justement le soi-disant savoir-faire des experts qui a contribué à mettre en place un système éducatif socialement injuste et inefficace. En engageant du personnel peu qualifié dans ce domaine, n’est-ce pas la qualité de l’éducation non formelle qu’on risque de détériorer ?

« Non », dit le professeur Mathias Urban, « l’éducation de nos enfants est le reflet de la société et, idéalement, le personnel travaillant dans le secteur devrait être le reflet de la population à laquelle il s’adresse. » Cela permettrait, selon lui, d’aller au-delà du cadre habituel. Des personnes issues de milieux défavorisés seraient souvent, de par leur vécu, plus proches d’enfants en difficulté et issus de milieux populaires eux aussi, le contact avec les familles et communautés serait plus aisé.

Autre argument phare pour l’emploi de personnes peu qualifiées, prononcé à plusieurs reprises au cours de la conférence : la promotion du multilinguisme par l’emploi de personnes issues de l’immigration. Manuel Achten, pédagogue diplômé et conseiller de direction au ministère de la Famille et de l’Intégration, constate : « Si, dans les institutions, nous avons 40% des enfants qui sont d’origine portugaise, il serait temps d’augmenter le nombre de personnes parlant le portugais. »

A part le critère du multilinguisme, quelles sont les personnes visées par les projets « Flex » de Caritas, qui offrent une formation de base au personnel non qualifié travaillant dans l’éducation non formelle ? Selon Gaby Wagner, représentant l’Adem à la conférence, ce sont surtout des personnes présentant un « niveau d’études inférieur », avec peu de chances sur le marché de l’emploi, qui sont visées.

Quelles perspectives pour le personnel peu qualifié ?

L’énorme majorité des participants aux formations de base, et plus concrètement au programme « VALIflex », élaboré par Caritas en collaboration avec le Fonds social européen, sont des femmes, représentant près de 90%. Nathalie Georges, sociologue chargée d’évaluer les programmes « Flex », nous explique de quel contexte économique sortent les participants et surtout les participantes : « 65% des personnes ayant participé au projet Valiflex étaient sans emploi avant la formation, 21% étaient déclarés comme travaillant dans leur propre ménage. En juillet 2013, 79% des participants avaient trouvé un emploi, dont 56% dans le domaine du social. » Il semblerait donc que ce projet porte ses fruits. Seul bémol : sur les personnes ayant trouvé un emploi, seulement 57% profitent d’un contrat à durée indéterminée, 63% travaillent à temps partiel. Les salaires sont jugés insuffisants par la majorité des personnes interrogées à ce sujet. Néanmoins, plus de deux tiers des participants jugent que leur « employabilité » a augmenté considérablement.

Si l’on considère que les formations offertes sont très ciblées et à court terme, il faut constater qu’elles ne sont pas forcément à l’origine d’améliorations des conditions de vie des participants. D’après Chantal Fandel, du ministère de l’Education nationale, « ces personnes ne sont pas peu qualifiées, mais restent non qualifiées .». Travaillant en temps partiel pour la majorité et en CDD pour beaucoup, le personnel peu qualifié n’a pas nécessairement plus de perspectives qu’avant la formation. Pour Chantal Fandel, « il faut qu’on crée un cadre qui permette aux gens de se construire des perspectives ».

Qu’en est-il donc de cette « situation win-win » dans le social ? Les employeurs en profitent, les parents en profitent, même les enfants en profitent peut-être, mais quel est le profit pour les salarié-e-s ? Étrangement, aucun représentant du salariat n’avait été invité à la conférence pour éventuellement pouvoir éclaircir ce revers de la médaille.

En prenant en compte que le nouveau gouvernement, selon l’accord de coalition publié cette semaine, « vise à moyen terme la gratuité de l’accueil des enfants », on peut en déduire que l’explosion du secteur social n’en est qu’à ses débuts. Sera-t-on capable d’offrir, à long terme, des perspectives à nos enfants, tant qu’à court terme on n’est pas à même d’en offrir à ceux et celles qui travaillent quotidiennement pour cela ?


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