Dans « La chambre bleue », Mathieu Amalric propose sa vision du thème des amants diaboliques, cher à Simenon, avec une maîtrise cinématographique exemplaire.
Les romans de Georges Simenon semblent être une source inépuisable d’inspiration pour les cinéastes. Bien qu’on y retrouve souvent les mêmes sujets, la maestria du romancier belge réussit toujours à éviter la monotonie. Il en va de même pour « La chambre bleue », qui pourrait n’être qu’une énième banale histoire d’adultère mais qui se révèle une plongée fascinante aux tréfonds de l’âme humaine.
Le film s’ouvre sur une longue séquence où deux amants, Julien Gahyde (Mathieu Amalric) et Esther Despierre (Stéphanie Cléau, sa compagne à la ville) échangent des banalités amoureuses après l’étreinte. Changement abrupt, tel un coït interrompu : nous sommes maintenant dans le bureau d’un juge d’instruction. Julien y est interrogé et les séquences du passé, comprenons-nous, correspondent à la mise en images de ses réponses. On découvre peu à peu les crimes dont lui et Esther sont accusés, dans un mélange de réalisme policier – le dossier d’instruction est reconstitué méticuleusement – et d’onirisme embrumé – les flash-back révèlent la confusion du personnage principal sur son rôle dans cette affaire. Le film continuera ainsi, par narration croisée, jusqu’à la scène finale du procès des deux complices présumés.
Empêtré dans une adaptation difficile du « Rouge et le noir » de Stendhal, Amalric a souhaité s’offrir un bol d’air avec ce petit film de tout juste une heure et quart. Bien lui en a pris : sa réalisation méticuleuse, compacte, faite dans l’immense majorité de plans fixes qui exacerbent les séquences où – enfin ! – la caméra bouge, rend à merveille l’atmosphère poisseuse du roman. La symbolique fait partie intégrante du film, avec des liens évidents entre passé et présent, telle cette abeille qui traverse plusieurs scènes et qu’on retrouve brodée sur la tapisserie de la salle d’audience finale. Une salle d’audience qui, elle, est tout aussi bleue que la chambre des ébats adultères du début.
Si la séquence d’ouverture rappellera aux cinéphiles la langueur d’« Hiroshima mon amour », c’est souvent « Garde à vue » dont le film suscitera le souvenir ; et cela même si Amalric dit avoir justement voulu s’en éloigner, au point de le qualifier de « film ennemi ». De fait, le long métrage de Claude Miller trouve son énergie dans la recherche puis la révélation d’un coupable ; celui de Mathieu Amalric ne s’attache pas à la vérité judiciaire, mais brosse le portrait d’un homme à qui tout sourit et dont pourtant la vie bascule sans qu’il comprenne vraiment pourquoi.
L’ombre de bien d’autres films plane sur « La chambre bleue », mais la construction savante, les références cinématographiques et la réalisation soignée ne le rendent en rien intellectuel ou purement cinéphilique. Au contraire, l’interprétation charnelle des acteurs principaux transcende le côté cérébral de la mise en scène pour nous plonger dans les passions humaines. A leurs côtés, Léa Drucker convainc en épouse apathique et Laurent Poitrenaux se montre magistral en juge d’instruction, si l’on ose l’écrire ainsi.
Lorsque les portes du tribunal se referment sur l’histoire, au son de la Chaconne pour violon de Bach arrangée pour piano par Busoni, le spectateur ne peut pas être certain de la culpabilité de Julien ou d’Esther. Mais il a en tout cas le sentiment presque voluptueux d’avoir été le témoin privilégié, le temps d’un interlude cinématographique, d’un fait divers dont les journaux ne se font l’écho que par entrefilets. Après l’exubérant « Tournée », prix de la mise en scène à Cannes, ce cinquième long métrage tout en nuances de Mathieu Amalric confirme le talent du comédien-réalisateur et réconcilie avec un cinéma français qui se repose trop souvent sur ses lauriers à coups de comédies interchangeables et de récits nombrilistes.
A l’Utopia, Ciné Waasserhaus et Kinosch