Le taux de chômage augmente, le plein-emploi est plus loin que jamais. Serait-il temps de changer radicalement d’approche ?
« A mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l’homme avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes, l’ouvrier, au lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il voulait rivaliser avec la machine », écrivait Paul Lafargue, gendre de Karl Marx et auteur de l’ouvrage « Le droit à la paresse » en 1880. Aujourd’hui, c’est la machine qui a pris le dessus.
Le taux de chômage au Luxembourg est de 7,3 pour cent en juillet, ce qui représente 18.103 personnes. Sur un an, cela signifie une augmentation de 6,6 pour cent, c’est-à-dire 1.115 personnes. Le nombre de chômeurs affectés à une mesure pour l’emploi est de 7.538. En un an, il a augmenté de 7,7 pour cent. Le nombre d’offres d’emploi déclarées auprès de l’Adem a lui augmenté, passant de 2.106 en juillet 2013 à 2.649 en juillet 2014. Parmi ces offres, le secteur « support à l’entreprise », regroupant les fonctions – externalisées – qui ne font pas partie du processus de production, mais qui participent au fonctionnement d’une société, telles que l’informatique, la comptabilité ou le marketing, représente près de 30 pour cent. Les services à la personne et à la collectivité – le secteur social donc – fournissent 13,5 pour cent des offres d’emploi. Ils sont suivis par le secteur de la construction, du bâtiment et des travaux publics avec 13 pour cent.
Dans une interview accordée au « Jeudi » le 14 août, à une dizaine de jours de la publication des chiffres du chômage, le ministre du Travail Nicolas Schmit se montre plutôt optimiste. « Je crois qu’on va pouvoir progressivement stopper la hausse du chômage », affirme-il, puis ajoute : « Nous sommes à un tournant. » Le plein-emploi étant pour lui « un objectif qu’il ne faut pas perdre de vue », il veut « réfléchir à un autre type de croissance » et « miser sur la productivité, l’innovation, l’environnement ». Entre les lignes, son optimisme est plus qu’hésitant – « progressivement stopper la hausse du chômage » ne veut pas dire retourner au plein-emploi, ni même faire baisser le nombre de chômeurs.
Des alternatives socialement justes
Face au chômage de masse, à l’explosion du travail précaire et à la dégringolade de l’Etat-providence, il existe des alternatives socialement justes aux solutions prônées actuellement, qui, elles, semblent toutes passer par une croissance forte. Ainsi, dans son numéro spécial de janvier 2014 intitulé « Chômage : A-t-on vraiment tout essayé ? », le magazine « Alternatives économiques » propose plusieurs options. « Rapprocher postes à pourvoir et demandeurs d’emploi », se nomme la première, et c’est ce que prêche depuis longtemps Nicolas Schmit.
« C’est plus rentable pour l’Etat d’investir dans la formation de quelqu’un qui retrouvera ainsi un emploi que de lui allouer des indemnités sans projet d’accompagnement », explique-t-il dans « Le Jeudi ». Pour rappel, le nombre de postes vacants déclarés à l’Adem et non pourvus à la fin du mois de juillet 2014 était de 3.970. Un nombre qui pourrait être réduit par des formations ciblées pour les demandeurs d’emploi, voire par une orientation de la formation professionnelle vers les besoins des employeurs. Cependant, le ciblage n’est pas une formule magique et ne suffira pas pour atteindre le plein-emploi.
Si le chômage est tellement élevé, c’est que le marché du travail est saturé. Les emplois qui sont créés, et les chiffres le montrent, sont des emplois administratifs et périphériques, pas nécessaires à la production ni même à la sauvegarde de notre niveau de vie. Pour l’anthropologue David Graeber, qui, dans le hors-série d’« Alternatives économiques » pose la question « Pourquoi ne travaillons-nous pas seulement trois heures par jour ? », ce sont des emplois qui existent en partie « parce que chacun passe beaucoup de temps à travailler dans toutes les autres activités ». Ce qui l’amène à écrire : « Les emplois productifs (?) ont été très largement automatisés. (?) Mais plutôt qu’à une réduction massive du temps de travail (?), nous avons assisté au gonflement des emplois administratifs au sens large. » Des emplois qu’il appelle des « boulots de merde », puisqu’ils seraient « inutiles » et « dénués de sens ». Graeber fait référence à John Maynard Keynes, qui prédisait en 1930 qu’avant la fin du siècle, « la technologie [serait] suffisamment avancée pour permettre à des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis de parvenir à une semaine de travail de 15 heures ».
Conséquences sociales dramatiques
Et si la diminution du chômage passait par une réduction du temps de travail ? Délaissée par les syndicats, décriée comme inefficace et irresponsable par le patronat, cette revendication pourrait pourtant représenter au moins une partie de la solution face au chômage de masse. Selon la fondation Copernic, think tank critique du libéralisme français, 80 pour cent du chômage seraient à expliquer par la technologie, donc par des gains de productivité : « Nous produisons de plus en plus, de plus en plus vite, avec de plus en plus de machines. Ainsi, depuis les années 1960, on produit cinq fois plus vite qu’avant. » Depuis la révolution industrielle, gains de productivité et réduction du temps de travail se seraient plus ou moins équilibrés : par l’introduction du repos du dimanche, puis de celui du samedi, ainsi que par la diminution des heures de travail quotidiennes. Aujourd’hui, c’est le chômage qui servirait de variable d’ajustement, « avec toutes les conséquences sociales dramatiques que l’on connaît ».
« Alternatives économiques » partage cette vision des choses. Pour Guillaume Duval, auteur de l’article « L’indispensable réduction du temps de travail », la mise en place des 35 heures hebdomadaires en France était un succès, malgré toutes les complications engendrées et le fait qu’elle ait été perçue comme un échec. 350.000 emplois auraient été créés suite à la « loi des 35 heures », tout comme « le recul du chômage ainsi enclenché et le pouvoir d’achat supplémentaire distribué » auraient « dopé l’activité ». Entre 1997 et 2001, après l’introduction de la loi dite « Aubry » en référence à la ministre du Travail de l’époque, deux millions d’empois nouveaux auraient été créés. Contrairement à ce qu’affirment les adversaires de la semaine de 35 heures, pour l’inspecteur du travail français Denis Aribault et l’économiste Stéphanie Treillet, membres de la fondation Copernic, le coût salarial par unité produite aurait diminué depuis. Une réduction des heures de travail permettrait de répartir l’activité sur une plus grande masse de salariés, et donc de combattre effectivement le chômage.
Sortir de l’impasse
Il semble aujourd’hui plus nécessaire que jamais de changer notre rapport au travail. Autrefois moyen et condition d’épanouissement et de participation à la vie sociale, il est aujourd’hui en train de devenir un privilège. Alors que le progrès le permettrait, le temps de travail ne diminue pas, le travail n’est pas réparti sur un plus grand nombre de personnes. Pour sortir de l’impasse, du cercle vicieux du chômage de masse qui sert comme variable d’ajustement afin de régler la différence entre la demande nettement plus importante que l’offre, il est nécessaire de changer de variable. La réduction du temps de travail serait une solution, efficace et socialement juste.