CÉDRIC JIMENEZ: L’incorruptible ennuyeux

Les Américains ont « Le Parrain » et les Français ont la French Connection – deux versants d’une même saga mafieuse et mondialisée. Pourtant, « La French » de Jimenez est loin d’égaler les films de Francis Ford Coppola.

A l’époque de la French Connection, la cité phocéenne n’était pas vraiment accueillante…

La saga de la French Connection commence bien avant l’invention de l’héroïne. Vers la fin du 19e siècle, alors que l’empire colonial français a toujours la mainmise sur l’Indochine, le gouverneur général en place – et futur président de la République – Paul Doumer instaure un monopole étatique sur l’opium. Officiellement pour livrer l’industrie pharmaceutique qui en raffolait à cette époque, mais, rapidement, les surplus vont s’écouler en douce. Même après 1912 et la convention de La Haye, les autorités françaises continueront les trafics officieux, alors qu’officiellement la République les combat. Assez rapidement, le port autonome de Marseille devient la plaque tournante internationale de l’opium et, plus tard, de l’héroïne.

Mais ce n’est qu’après la grève des dockers de 1950, dont les autorités françaises et américaines craignaient qu’elle fût l’étincelle d’une possible révolte communiste et qu’ils font briser en relâchant les pires éléments de la pègre, que le port de Marseille devient carrément une zone franche pour la drogue exportée – avec l’aide de la Cosa Nostra implantée aux States – en Amérique du Nord. Dans les années 1960 et 1970, jusqu’à 90 pour cent de l’héroïne consommée en Amérique provient de Marseille.

C’est dans cette atmosphère tendue où la pègre contrôle tout – machines à sous, bistrots, restaurants, casinos, prostitution, trafic d’armes et de drogue – que débarque le jeune juge Pierre Michel, qui vient d’être nommé au grand banditisme. Son affectation précédente, aux affaires de mineurs, l’a probablement rendu sensible aux ravages de l’héroïne. Toujours est-il qu’il choisit d’affronter le parrain de Marseille de l’époque : Gäetan Zampa, dit Tany. Une lutte sans merci s’engage entre les deux hommes à coups de bluffs, d’arrestations qui se rapprochent de plus en plus de Zampa, de règlements de comptes sanglants et de provocations. Une confrontation qui se termine en octobre 1981, avec trois balles de 9 mm dans le corps du juge Michel. Cette exécution est rapidement attribuée à Zampa, qui prend la fuite – en réalité, c’était un de ses adversaires qui avait commandité l’attentat. Pourtant, cet épisode sonne le glas non seulement du parrain marseillais, qui se suicidera en prison vers 1984, mais aussi de toute la French Connection. Celle-ci sera rapidement remplacée par la Pizza Connection sicilienne, qui reprend le flambeau.

Ce que Jimenez propose au spectateur n’est malheureusement pas une saga ambivalente comme le proposent les grands films américains, mais une hagiographie du juge Michel – que les milieux appelaient le justicier, voire le cow-boy, justement à cause de ses méthodes souvent à la limite de la légalité. Certes, pour combattre le mal on peut parfois être créatif, surtout dans un milieu policier infesté par des flics corses pourris. Mais cela n’empêche que « La French » vise un peu trop le côté personnel et familial des deux adversaires, avec de très – trop – longues scènes de dîners familiaux des deux côtés et une vue des choses très uniforme. Ainsi, Zampa est montré comme un « gentleman gangster », un peu au-dessus de la mêlée. Ce qui, d’après les témoignages de l’époque, est loin d’avoir été le cas. Il traînait en effet une sérieuse réputation d’énervé violent. Le juge Michel, lui, est héroïsé sans grands contrastes. C’est un fou du boulot, droit dans ses bottes mais sans aucune part d’ombre, aucune ambivalence. La question qui se pose à cet égard est : est-ce la faute du réalisateur ou celle de Jean Dujardin qui – même oscarisé – ne parvient pas vraiment à se défaire de sa peau de comédien à la OSS117 pour se plonger dans un rôle plus sérieux ?

Toujours est-il que « La French » est un film définitivement trop long et trop lisse, ce qui ne correspond en rien au dossier épineux de la French Connection.

A l’Utopolis Kirchberg.

 


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