« L’enquête », film de Vincent Garenq retraçant l’affaire Clearstream et le parcours du journaliste d’investigation Denis Robert, n’est pas un chef-d’oeuvre, mais vaut le coup.
« Si j’avais su qu’en me lançant dans cette enquête j’allais me mettre dans une telle merde (…), franchement je crois que je n’y serais pas allé. » C’est le journaliste Denis Robert (Gilles Lellouche) qui prononce cette phrase au début de « L’enquête », après avoir été réveillé par des policiers français pour une perquisition à son domicile.
Denis Robert, journaliste français originaire de Metz, vient de claquer la porte de « Libération », où il estime être censuré par son rédacteur en chef. Plus par hasard qu’autre chose, il tombe sur un employé licencié de Clearstream – qui s’appelait encore Cedel à l’époque – désireux d’en découdre avec son ancien employeur. Robert se lance – et déclenche une spirale imprévisible. Quelques mois plus tard, il sort, avec Ernest Backes (l’ancien employé de Clearstream), le livre « Révélation$ ». Un livre qui met fortement en cause l’entreprise.
Clearstream est ce qu’on appelle une chambre de compensation. Spécialisée dans l’échange de titres et de parts de fonds d’investissement ainsi que dans l’échange de ce qu’on appelle les « eurobonds » (ou euro-obligations) entre banques et instituts financiers, cette société financière a été au coeur de plusieurs affaires de dimension internationale.
Selon Ernest Backes – joué par le défunt Marc Olinger dans « L’enquête » -, il existait au sein de l’entreprise un système de comptes non publiés. En effet, la « chambre de compensation » aurait perverti le système légal de compensation interbancaire pour procéder à l’effacement des traces de certaines transactions. Par ce biais, Clearstream aurait considérablement facilité l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent à l’échelle mondiale. Plusieurs grandes entreprises et groupes multinationaux auraient profité de ce système. L’affaire dite « Clearstream 1 » a été déclenchée avec la publication de « Révélation$ » en 2001 et de « La boîte noire » en 2002.
Suite à la publication des deux livres, Denis Robert et Ernest Backes ont dû faire face à 31 procès en diffamation engagés par Clearstream, en France, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse et au Canada, entre autres. Ils seront condamnés en première instance et en appel, et ce n’est qu’en 2011 que la Cour de cassation française donnera finalement raison aux deux accusés et annulera les condamnations précédentes.
Denis Robert se retrouve aussi au coeur de l’affaire dite « Clearstream 2 » ou « affaire des frégates de Taïwan », liée à la vente de six frégates à la marine taïwanaise par des industriels français et se déroulant sur arrière-fond de rivalités politiques entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy.
Si Gilles Lellouche, qui incarne un Denis Robert prototype du journaliste d’investigation héroïque, prêt à sacrifier sa famille pour exposer au grand jour la corruption des puissants, déçoit, d’autres acteurs réservent des surprises : Charles Berling dans le rôle du juge Renaud Van Ruymbeke – qui mena l’enquête sur Clearstream 2 – s’avère particulièrement bon. Tout comme Laurent Capelluto, qui incarne le banquier Imad Lahoud, mêlé de près à Clearstream 2… et les deux acteurs luxembourgeois Marc Olinger et Christian Kmiotek.
D’un point de vue purement cinématographique, « L’enquête » n’a rien d’exceptionnel. Entre banal thriller et film-enquête traditionnel, le film fait plus penser à un bon téléfilm qu’à une grande oeuvre de cinéma. Néanmoins, le réalisateur Vincent Garenq a un grand mérite : celui de rendre accessible au grand public l’affaire – ou les affaires – Clearstream. Etonnant donc de voir que la production a été cofinancée par le Luxembourg, puisque le grand-duché ne s’en sort pas très bien, en fin de compte.
Au final : pas un chef-d’oeuvre, mais un film dont on peut espérer que beaucoup de gens le voient au Luxembourg et ailleurs. Car 14 ans après la publication de « Révélation$ », le Luxembourg est toujours une plaque tournante de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent, et cela ne semble pas près de changer.
À l’Utopolis.