« Baby(a)lone », le film de clôture du Luxembourg City Film Festival, met enfin le cinéma luxembourgeois sur une voie qu’on attendait depuis longtemps – un vrai cinéma d’auteur qui réunit acteurs excellents, belles images et surtout un scénario consistant.
« Enculer, tu vas te faire enculer à Dreiborn », susurre la petite voix dans la tête de X, le personnage principal de « Baby(a)lone », alors qu’il assiste à la réunion de la dernière chance avant qu’on ne l’envoie dans la « prison pour jeunes ». Il a en effet déjà une belle ardoise, qui fait de lui un de ces jeunes en danger et enclins à la violence. Pourtant, en voyant le monde dans lequel il évolue – une mère qui le considère comme un accident et qui bosse dans le porno, un père absent et inconnu -, on comprend qu’un garçon qui a grandi dans la violence et le sexe soit fondamentalement révolté lorsqu’il atteint la puberté, une période difficile même pour les ados « normaux ».
Et puis X rencontre l’amour, ou du moins quelque chose qui y ressemble assez fortement. Elle s’appelle Shirley et a été, comme lui, condamnée à entrer dans une « classe mosaïque », le dernier nom en vogue pour classer les indésirables dans l’Éducation nationale. Les liens qui se tissent entre X et Shirley, et surtout la domination de celle-ci, vont vite enclencher une dynamique violente et potentiellement meurtrière?
Le premier atout de « Baby(a)lone » est la lumière. En effet, si en lisant le livre « Amok », de Tullio Forgiarini, sur lequel le film se base, on avait en tête une atmosphère plutôt glauque et sombre, le réalisateur Donato Rotunno a choisi le lycée Bel-Val et le site Belval tout entier comme décors. Un choix judicieux : dans cette atmosphère hypermoderne et aseptisée, le drame de « Baby(a)lone » prend une tout autre dimension et exprime une présence angoissante de la violence que même ces beaux bâtiments tournés vers le futur ne peuvent contenir. C’est un peu comme si on disait à la société : vous avez beau construire de nouveaux palais, si vous ne changez rien à la façon dont vous traitez les plus marginalisés, ces mêmes drames vont continuer à se dérouler.
Pourtant, et voilà le deuxième atout de « Baby(a)lone », le film ne cherche pas à victimiser ses deux personnages principaux. Il n’excuse nullement leur agressivité délibérée, tournée aussi vers celles et ceux qui ne veulent que les aider. Nulle apologie non plus de leur égoïsme monstrueux, qui les pousse à la transgression de plusieurs lignes rouges de notre civilisation, qu’ils connaissent évidemment et qu’ils franchissent donc en connaissance de cause.
Non, Rotunno et son équipe ont fait le pari de suivre leurs personnages au lieu de les guider. Et c’est justement cela qui fait la force du film : aucun jugement moral, aucun préjugé ne sont imposés au spectateur. Ajoutez-y des personnages qui se tiennent et qui restent crédibles tout le long du film, et vous avez devant vous le premier long métrage luxembourgeois qui ne fait pas – à un moment ou un autre – honte à voir et qui pourrait bien assurer une renommée internationale à l’industrie cinématographique locale. Car dans « Baby(a)lone » tout se tient, et en particulier les acteurs principaux ?Joshua Defays et Charlotte Elsen, époustouflants dans leurs rôles de Bonnie and Clyde tout juste pubères.
Voilà pour « Baby(a)lone ». Une note critique quand même aux organisateurs du Luxembourg City Film Festival : certes, un tel événement ne se conçoit pas sans sponsoring et, vraisemblablement, montrer les spots des généreux donateurs avant chacun des films présentés dans le cadre du festival peut bel et bien être une obligation. Pourtant, forcer le public de la soirée de clôture après la remise des prix à visionner encore une fois plus d’une dizaine de minutes de publicité, c’est vraiment abuser?
Dans les cinémas.