Avec „Je rentre à la maison“ Manoel de Oliveira aborde un sujet tragique avec beaucoup de fraîcheur.
Ballet quotidien
A la sortie d’une représentation du „Roi se meurt“, un vieil acteur à qui on ne la fait plus – admirable Michel Piccoli – est averti de la mort accidentelle de sa femme, de sa fille et de son beau-fils. Ses amis s’interrogent sur la manière dont le vieux brisquard va gérer cette terrible situation. D’aucuns pensent qu’il ne survivra pas longtemps à ce drame et qu’on ne le reconnaîtra plus en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Le bonhomme s’en tire sans sourciller, du moins vu de l’extérieur, et prend même la chose avec un certain fatalisme. Il décide de ne rien changer à sa vie, à ses habitudes. Tout au plus se rapproche-t-il plus fortement de ce qu’il lui reste de famille, son petit fils. Pour le reste, de ses principes professionnels, de son obsession des petites choses du quotidien ou de sa maniaquerie maladive, rien ne bouge, comme si l’équilibre psychique du vieux comédien en dépendait.
Dernier film de Manoel de Oliveira, le plus vieux réalisateur en activité à 94 ans, „Je rentre à la maison“ aborde un sujet tragique avec beaucoup de fraîcheur. C’est pourtant bien de mort, de deuil, de vieillesse et de morale intime dont il est question; rien de follement réjouissant, à priori. Mais tout cela, de Oliveira le met en scène avec une véritable espièglerie, une conviction probablement renforcée par son expérience de la vie.
De Oliveira peut à peu près tout se permettre
On a beau ne pas vouloir y prêter attention, le grand âge et l’impressionnante productivité – un film tout les deux ans – du cinéaste portugais y est pour beaucoup dans la manière dont il est acclamé par la critique parisienne ou accueilli à bras ouverts dans la plupart des festivals européens. Il peut, en conséquence, à peu près tout se permettre, et il ne s’en prive pas.
Michel Piccoli apporte, de son côté, toute l’épaisseur nécessaire à son personnage, en démontrant une fois de plus l’étendue à perte de vue de son talent et de sa grande expérience. Le film, au lieu de peser lourd par son sujet délicat, se présente plutôt comme une célébration du quotidien et du respect, sans compromis des principes qui régissent notre vie. Par exemple, cette scène où le personnage de Piccoli joue dans une adaptation cinématographique de Joyce mais quitte le plateau à cause d’un désaccord avec le metteur en scène. Il annonce alors „je rentre à la maison“ sans en faire un drame mais simplement par respect pour sa vision du travail. Par respect pour la vie aussi, il ne rate pas l’occasion de profiter de ses petits plaisirs, comme lire un journal en sirotant un café assis à une terrasse. C’est l’occasion d’un ballet quotidien, entre scènes burlesques, mémorables ou proprement insignifiantes et une réflexion sur la place de chaque chose. Manoel de Oliveira peut se vanter, à 94 ans et un nombre incalculable de films plus ou moins bons, d’avoir encore beaucoup à dire et à donner. Parions qu’il ne s’agit pas là d’un film crépusculaire, d’une façon élégante de s’en aller, mais plutôt du postulat sans cesse renouvelé d’un vieux bonhomme qui n’est pas prêt de rentrer à la maison.
Séverine Rossewy
Face aux grosses productions les petits films ont la vie dure. Comme par exemple „Je rentre à la maison“, qui nous paraissait très intéressant, mais qui n’a malheureusement – par rapport aux autres films programmés au Ciné Utopia – pas su faire la différence: le peu d’entrées fait que le film a déjà quitté nos écrans, au bout seulement d’une semaine.