L’infatigable militant écologiste Paul Watson est détenu depuis plus de trois mois au Groenland, sous la menace d’une extradition vers le Japon, d’où il pourrait ne jamais revenir. Il a récemment adressé depuis sa prison une demande de naturalisation au président français, Emmanuel Macron.

L’Islande, la Norvège et le Japon sont les trois derniers pays à pratiquer encore le commerce de la baleine. (Photo: Pixabay)
Le 21 juillet, alors qu’il faisait escale à Nuuk, la capitale du Groenland, territoire autonome du royaume du Danemark, l’activiste américano-canadien Paul Watson a été arrêté et placé en détention. Selon sa fondation, la Fondation du capitaine Paul Watson (CPWF), il était alors en train de ravitailler le « John Paul DeJoria » en carburant et s’apprêtait ensuite à prendre la direction du Pacifique Nord en vue d’intercepter le nouveau navire-usine baleinier du Japon, le « Kangei Maru ». Ce monstre des mers doté d’équipements ultramodernes est le plus grand baleinier jamais construit au monde : il mesure plus de 112 mètres de long et est conçu pour chasser, découper et congeler la viande de baleine, dont il peut stocker jusqu’à 700 tonnes. Le « Kangei Maru » est parti en mer en mai dernier pour une expédition de plusieurs mois, au cours de laquelle il est censé chasser 200 baleines, en dépit du droit international qui en interdit le commerce depuis les années 1980 (voir encadré).
Le militant écologiste a été placé en détention en raison d’un mandat d’arrêt international émis par le Japon en 2012, qui l’accuse de « conspiration d’abordage » pour des faits remontant à 2010. D’après les autorités japonaises, Paul Watson serait coresponsable d’avoir blessé au visage un marin nippon sur un baleinier en jetant une boule puante sur le pont du navire. « Il ne faut pas prendre pour argent comptant ce que dit le Japon », insiste Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, une des antennes de cette autre ONG fondée par Paul Watson. L’écologiste néo-zélandais Peter Bethune, qui a participé à la mission et a été condamné à l’époque à deux ans de prison avec sursis, « a reconnu avoir lui-même lancé la bombe puante et l’atteste : il n’y avait personne à l’endroit où elle a atterri. De plus, il s’agit d’un produit inoffensif [de l’acide butyrique, ndlr], que nous manipulons nous-mêmes sans gants et sans masque. Le seul désagrément de ce produit, et c’est le but, c’est que ça sent le vomi », indique Lamya Essemlali. « Sur la base du droit, Paul n’aurait pas dû être mis en prison. Ce sont des faits mineurs, qui remontent à 14 ans, dont il peut prouver qu’il n’est pas responsable [des vidéos existent selon la défense, ndlr], et qui ont été commis dans le cadre d’une opposition à une action criminelle de chasse baleinière illégale. »
« Les conditions de détention se sont durcies »
Cela fait en vérité de nombreuses années que les autorités nippones ont Paul Watson dans le viseur, le militant empêchant régulièrement les baleiniers japonais d’aller chasser (en toute illégalité) la baleine dans des sanctuaires, mais aussi de la chasser à des fins commerciales, sous couvert d’effectuer des recherches scientifiques (cette chasse étant autorisée par le moratoire).
Pour ses défenseurs, l’affaire, bien plus que judiciaire, est donc éminemment politique. Il s’agit de mettre à terre ce vieux loup de mer, connu pour sa radicalité et ses actions directes, qu’il qualifie lui-même comme étant de la « non-violence agressive » dans un documentaire sur Arte : projection d’objets, espionnage des navires illégaux en pleine mer, abordage, éperonnage ou sabotage. Il a coulé une dizaine de navires, des « braconniers qui tuaient illégalement et en toute impunité des milliers de baleines », rappelle Sea Shepherd sur X (ex-Twitter). Il a surtout sauvé au cours de sa carrière de justicier des mers plus de 5.000 baleines, et des dizaines de milliers de dauphins, de thons, de requins et de phoques − on se souvient du célèbre combat qu’il a mené avec Brigitte Bardot à partir de la fin des années 1970 pour sauver les bébés phoques, massacrés pour leur fourrure.
S’il se défend d’avoir jamais blessé personne, sa philosophie et son engagement total lui ont valu quelques inimitiés. « Si on voit une femme subir un viol dans la rue, ou un chaton être piétiné à mort, on ne brandit pas une banderole, on ne prend pas de photos. C’est la même chose quand on voit une baleine mourir, il faut intervenir. Être témoin et ne rien faire, c’est lâche », disait encore Paul Watson dans ce documentaire. D’abord exclu de Greenpeace en raison de sa radicalité, il a ensuite été évincé de Sea Shepherd, l’ONG qu’il avait créée suite à cette exclusion. Cette décision a provoqué une scission entre Sea Shepherd Global et Sea Shepherd Origins, laquelle regroupe les antennes française, britannique et brésilienne de l’ONG, restées fidèles au capitaine et à l’esprit d’origine, refusant de changer de cap et de « renoncer à l’approche courageuse qui fait [de l’organisation] un acteur incontournable de la défense du monde marin ».
Le 23 octobre dernier, la quatrième demande de libération de Paul Watson a été rejetée et sa détention a été prolongée jusqu’au 13 novembre. « Les conditions de détention se sont durcies. Désormais, seuls ses avocats peuvent lui téléphoner et il a droit à 10 minutes de conversation en visio par semaine avec sa femme et ses enfants. Il n’a pas accès à la salle informatique de la prison. Il est très isolé », témoigne Lamya Essemlali, qui parvient toutefois à lui rendre visite. « Il a été blessé au poignet lors de l’audience du 15 août, car il a été menotté sans ceinture de sécurité. Depuis, il a énormément de mal à écrire, or c’est une des seules activités qu’il peut avoir. J’ai dû lui ramener une attelle de France. Il s’est aussi retrouvé à court de médicaments pour l’hypertension et le diabète, et la prison n’a prévenu personne. Ils ont voulu lui trouver des alternatives au Groenland, mais qui ne convenaient pas du tout. Il a fallu que je ramène moi-même les médicaments depuis la France. »
La présidente de Sea Shepherd dénonce aussi un « manque de transparence » dans le traitement de ce dossier. « La procureure chargée du dossier, Mariam Khalil [à l’origine de la demande de prolongation de la détention, ndlr], est chargée de transmettre au ministre de la Justice danois une synthèse du dossier de défense préparé par nos avocats. Or, nous n’avons pas accès à cette synthèse malgré de multiples demandes, ce qui est totalement anormal. Tout cela est très problématique. »
« Si Paul Watson est extradé, on ne le reverra jamais »
Depuis sa prison, Paul Watson, qui a des liens profonds avec la France, « son port d’attache », où il vit depuis 2014, a écrit une lettre au président de la République française, Emmanuel Macron, lui demandant de lui accorder la nationalité française. Il avait précédemment demandé l’asile politique, mais cette demande soulevait des problèmes de droit. À l’heure où nous bouclons cette édition, la réponse de l’Élysée est encore attendue. Le 25 octobre, le ministre des Affaires étrangères français Jean-Noël Barrot avait pour sa part déclaré au micro de France Info que cette demande était « en train d’être examinée ». Il s’est dit « plutôt favorable » à « cette possibilité », sans toutefois souhaiter « préempter une décision qui ne dépend pas de [son] ministère ou pas uniquement de [son] ministère ».
« Si Paul obtient la nationalité française, la France aura un droit de regard sur cette affaire, avec un accès complet aux éléments », explique Lamya Essemlali. Quant au risque qu’une telle décision de la part du président français mette en péril les relations diplomatiques avec le Danemark ou le Japon, elle rétorque : « C’est non seulement leur envoyer un message fort, mais aussi répondre à une demande extrêmement forte du peuple français. Emmanuel Macron est face à un choix politique. »
Les Français·es sont en effet nombreux·euses à soutenir le capitaine : une pétition appelant Emmanuel Macron à lui accorder la nationalité a déjà été signée par plus de 70.000 personnes ; les tribunes, dont l’une signée par l’académicien Erik Orsenna, fleurissent ; des rassemblements sont organisés ; des villes se mobilisent, comme Paris, qui a déclaré Paul Watson citoyen d’honneur, ou, plus proche, Metz, qui affiche dans ses rues son soutien au défenseur des océans.
« Cette mobilisation peut avoir un impact », assure Lamya Essemlali, qui prévient : « À ce jour, l’extradition vers le Japon n’est toujours pas exclue − si c’était le cas, le ministre de la Justice danois devrait libérer immédiatement Paul. Son maintien en détention depuis plus de trois mois constitue d’ailleurs déjà une violation de ses droits. Si toutefois le ministre devait statuer dans le sens d’une extradition, nous ferons appel et utiliserons d’autres recours : la Cour suprême du Danemark et la Cour européenne des droits de l’homme. »
Car Lamya Essemlali en est convaincue : « Si Paul Watson est extradé, on ne le reverra jamais. » « Sur le papier, il risque 15 ans de prison, sachant qu’il aura bientôt 74 ans… Et puis, on est sûr qu’une fois là-bas, le Japon requalifiera l’accusation en ‘écoterrorisme’, parce que c’est ainsi qu’il qualifie Paul depuis le début. Alors que l’état écoterroriste, c’est bien le Japon, qui tue des baleines en plein sanctuaire et en violation du moratoire ! Les conditions de détention seront terribles, le Japon a été condamné à plusieurs reprises pour le traitement inhumain et dégradant de ses prisonniers. Et on sait que les Japonais sont dans une vendetta contre Paul, ils voudront l’humilier. Ils voudront qu’il s’excuse. Mais Paul ne s’excusera jamais d’avoir sauvé des baleines ! Ils lui réserveront donc les pires traitements. »
Lamya Essemlali espère que la mobilisation portera ses fruits et invite les dirigeants luxembourgeois à s’adresser à leurs homologues danois en faveur de la libération de Paul Watson. Quant au grand public, il ne doit pas hésiter « à écrire à Paul en prison. C’est important, il est isolé, et toutes les cartes, les lettres, les dessins qui montrent qu’on pense à lui le touchent profondément, car il ne voit pas la mobilisation sur les réseaux sociaux. Il en a reçu environ 2.500 jusqu’à présent ».
Pour écrire à Paul Watson : Paul Watson Anstalten for Domfældte Jagtvej 3900, Nuuk Groenland
Trois pays récalcitrants
Chassée depuis des siècles pour sa viande, sa peau, son huile et ses os, la baleine est devenue sévèrement menacée à partir du 19e siècle, lorsque la pratique a commencé à s’industrialiser. À titre d’exemple, alors qu’on comptait 27.000 baleines à bosse en 1830, il n’en restait plus que 450 à travers le monde en 1950. Pour tenter de réguler cette activité, la Convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine a été signée en 1946 par 15 nations (dont la France et le Danemark), et son principal instrument, la Commission baleinière internationale (CBI), a été créé, son autorité étant garantie par l’ONU. En 1986 entre en vigueur un moratoire mondial qui interdit la chasse commerciale à la baleine (sauf pour quelques peuples autochtones, comme les Inuits, mais des quotas leur sont imposés). La chasse à des fins scientifiques reste autorisée. Dès 1988, les prises avaient baissé de 90 pour cent. Près de trois millions de grands cétacés auraient été tués au cours du 20e siècle. Aujourd’hui, 88 pays sont membres de la CBI, dont le Luxembourg. Trois pays poursuivent la chasse à la baleine à des fins commerciales en dépit de l’interdiction : l’Islande, la Norvège et le Japon. Selon la CBI, ils tuent chaque année quelque 1.200 baleines.

