Aaron Sorkin : Rien ne va plus

Souvent enraciné dans les codes de la biographie filmée, parfois les dépassant, « Molly’s game » reste constamment sur la corde raide et laisse une impression mitigée mais positive… à l’image de son héroïne.

Plus qu’un simple « Jessica Chastain movie », « Molly’s Game » repose avant tout sur l’alchimie entre l’actrice et Idris Elba. (Photos : allocine.fr/SND)

L’adaptation au cinéma de la vie d’une personnalité, c’est la garantie de flash-back rythmés et d’une prestation oscarisable pour celle ou celui qui joue le personnage principal. La routine, quoi. Et Aaron Sorkin, scénariste et dramaturge dont « Molly’s Game » est le premier long métrage, n’échappe évidemment pas à ces règles qui semblent désormais bien établies. Pourtant, l’histoire portée à l’écran de Molly Bloom, ex-skieuse de haut niveau reconvertie dans l’organisation de parties de poker à mises colossales pour les jet-sets californienne et new-yorkaise, bénéficie d’un certain nombre d’atouts que d’autres biopics ne peuvent pas revendiquer.

D’abord, elle ne repose pas intégralement sur la performance de Jessica Chastain. Certes, l’actrice, tour à tour timide sportive déchue, vamp aux décolletés plongeants et ex-personnalité médiatique poursuivie par la justice, brille sur tous les plans et s’emploie à séduire même les plus réfractaires à son charme. Mais ce qui structure véritablement sa prestation, ce sont les scènes communes avec Idris Elba, qui joue son avocat. On y retrouve les qualités de dramaturge d’Aaron Sorkin, homme de théâtre avant tout : ce sont ces face-à-face entre deux caractères forts qui donnent un rythme au film, qui serait sinon d’une facture classique déjà vue et revue.

D’ailleurs, il est étonnant de constater que Sorkin, pourtant habitué à l’écriture de scripts, se fourvoie aussi dans des scènes mal amenées ou qui tombent comme un cheveu sur la soupe. La confrontation quasi finale entre Molly et son père (joué par un Kevin Costner impeccable), par exemple, sent les vieilles ficelles de scénariste à plein nez. Dans « Molly’s Game », on pressent donc un véritable potentiel, régulièrement gâché par les démons du classicisme et des recettes éculées. Sans compter le débit assommant de la voix off lors des retours en arrière et la technicité de certaines scènes de poker pour les non-initiés.

Puisqu’on s’y agace souvent en somme, qu’y trouveront celles et ceux qui n’y iraient pas pour admirer Jessica Chastain, et pourquoi le film parvient-il à laisser une impression favorable ? Il y a dans « Molly’s Game » deux choses que les biopics qui se contentent plus ou moins d’être des hagiographies ne peuvent offrir : une véritable critique de la société actuelle et le choix de ne pas tout montrer.

Ne pas tout montrer, c’est ne pas insister lourdement sur les évidents « bad trips » liés à l’alcool et à la drogue, inhérents au milieu des tables à grosses mises ; c’est ne pas faire de l’actrice principale un constant objet du désir. Molly Bloom a la tête froide, et si elle glisse parfois vers les excès, le film, sans voyeurisme, se concentre sur les conséquences plutôt que d’en étaler les actes à l’écran. Pas non plus d’histoire d’amour en forme de rédemption, qui tirerait vers le mélo. Et sans être un brûlot contre le capitalisme qui permet à de riches joueurs de dépenser des fortunes à des tables de jeu plus ou moins souterraines, Sorkin expose quand même l’absurdité d’un système ou l’argent roi corrompt même la plus naïve – au début – des jeunes filles. Car l’éducation qu’elle reçoit, axée sur la compétition, est évidemment le pur produit de ce système où l’entraide est considérée comme une faiblesse.

Au fond, il y a beaucoup à discuter après une séance de « Molly’s Game ». N’est-ce pas ce qu’on est en droit de demander au cinéma, lorsqu’on veut plus que de l’« entertainment » ? Malgré ses travers agaçants parfois, le film penche donc plutôt du bon côté de la balance.

Au Kinepolis Kirchberg et à l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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