Accord de coalition : Dépasser le conditionnel

Le menu politique des cinq prochaines années est servi : l’accord de coalition est certes ambitieux, mais beaucoup (trop) de pistes ne seront a priori qu’étudiées. Et puis reste la question de la faisabilité en cas d’absence de croissance.

À table ! Le menu de la coalition 2018-2023 est servi… reste à savoir à quelle sauce on va être mangé. (Photo : SIP)

Disons-le d’emblée : les pessimistes ont eu droit à quelques surprises en épluchant le document mis en ligne ce lundi. Certaines mesures annoncées dépassent effectivement l’horizon d’attente, comme la gratuité des transports, la légalisation du cannabis ou deux jours fériés de plus. Pourtant, tous ces beaux cadeaux sont aussi autant d’arbres qui cachent la forêt de quelque 235 pages qu’ont plantée les coalitionnaires. Le woxx vous emmène y faire un petit tour.

D’abord, passons en revue quelques autres bonnes mesures que le gouvernement voudra du moins étudier. Ainsi, celui-ci semble avoir tiré quelques leçons du référendum catastrophe de 2015, préconisant maintenant une « phase de sensibilisation » pour les citoyen-ne-s. La loi électorale, durement critiquée lors des dernières élections, sera également revue, le non-cumul des mandats sera examiné en marge de la nouvelle Constitution et grande première, le parlement étudiera la mise en œuvre d’un registre des lobbyistes. Cet effort de transparence est certes louable, mais rappelons au passage que presque chaque grande démocratie occidentale s’est déjà dotée d’un tel registre. Il faudra donc surtout veiller à l’efficacité de l’exercice – une pseudo-transparence serait un pas en arrière. Une « révision ponctuelle » est aussi prévue pour le Conseil d’État, où le « mode de nomination des conseillers d’État fera l’objet d’un examen critique » – une réforme à prendre avec des pincettes, donc.

Dans le registre positif aussi, le chapitre dédié aux médias. Ici, il semble que ce soit surtout le DP qui ait mis de l’eau dans son vin. Outre le fait d’admettre pour la première fois que l’accès à l’information est prioritaire pour les journalistes, l’accord prévoit l’étude de faisabilité d’une télévision de service public, une première absolue, tout comme la possibilité de revoir les accords de concession avec la CLT-UFA (donc RTL). La tenue d’un débat parlementaire sur la radio socioculturelle a aussi de quoi surprendre. On dirait presque que les médias ne sont plus aux mains des libéraux, qui jusqu’ici freinaient, voire obstruaient de toute leur force les dossiers en question. Bref, de bonnes nouvelles, mais à prendre avec beaucoup de précautions. L’accord de coalition n’est pas la Bible.

La digitalisation, nouveau point fort du gouvernement, et un portefeuille donné au premier ministre ne comportent rien de bien nouveau, si ce n’est que la volonté de tout digitaliser qui ne se sauve pas assez vite. Une drôlerie pourrait pourtant nous attendre dans les années à venir : un projet pilote mettant en place des « chatbots » dans l’administration – peut-être qu’ils seront plus efficaces, ou du moins plus réactifs, que certain-e-s fonctionnaires ?

Sinon, ce chapitre se recoupe avec ceux consacrés à l’économie et à la finance. Encore plus de start-up, un cadre juridique pour des entreprises comme Uber et Airbnb et un développement des technologies de l’information et de la communication. Bref, de l’avenir en veux-tu, en voilà.

Toujours des mineur-e-s 
à Schrassig

Le chapitre consacré à la justice renferme quelques déceptions pourtant. Certes, l’indépendance de la justice sera ancrée dans la nouvelle Constitution, l’accessibilité sera améliorée, le Conseil national de la justice verra le jour et les délais de prescription seront réévalués. Il est même question d’examiner la possibilité d’établir les recours collectifs dans le cadre de la protection du consommateur. Pourtant, un trou noir pour lequel le Luxembourg est régulièrement épinglé internationalement restera : il n’est nullement exclu de continuer d’enfermer des mineur-e-s dans la prison de Schrassig. Il y est seulement indiqué : « Le futur rapport du groupe interministériel pour une réforme du centre socio-éducatif de l’État de Dreiborn et de Schrassig sera la base d’évolutions supplémentaires. » Assez flou donc pour ne pas se forcer à avancer sur ce point, pourtant crucial.

Une autre bonne blague : « Le registre des bénéficiaires effectifs sera rapidement mis en place, conformément aux textes européens afférents. » Pour mettre cette phrase dans son contexte, il faut savoir que ce registre est une patate chaude pour la place financière et que le grand-duché est en ce moment poursuivi par la Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union européenne justement pour n’avoir pas transposé correctement « les textes européens afférents ». Sinon, le chapitre justice fait montre de quelques très bonnes intentions comme les peines alternatives, des maisons de transition pour ex-détenu-e-s, la possibilité d’une justice restaurative (c’est-à-dire la conciliation accompagnée entre parties adverses après un procès). Reste juste à relever que le ministère entend aussi transposer la directive européenne sur les lanceurs d’alerte – même si cette dernière est controversée.

Le chapitre logement est nettement plus ambitieux que dans l’accord de 2013, et c’est un mérite qu’il faut concéder à la coalition. Sinon, force est de constater que la situation a empiré ces dernières années, faisant de ce dossier une vraie bombe à retardement. Les mesures préconisées ressemblent donc un peu à celles d’il y a cinq ans, avec quelques améliorations. Comme la refonte de l’aide au logement, la mobilisation des terrains à bâtir, la réforme de l’impôt foncier et surtout le « combat contre la spéculation foncière » et l’« amélioration de la transparence des prix du marché de location ». Une lutte jusque-là confiée aux communes et qui s’est avérée peu efficace. Un détail saute néanmoins aux yeux : il n’est nullement question de confisquer des terrains ou des bâtiments à des spéculateurs en dernier recours. La propriété reste une vache sacrée – c’est une « ligne bleue » du DP qui n’a pas été franchie.

Photo : SIP/Emmanuel Claude

La propriété reste 
une vache sacrée

Passons donc aux transports, où les mesures préconisées restent dans la continuité de ce qui a été fait pendant les cinq dernières années : le tram roulera de la Cloche d’Or au Findel, la multimodalité sera étendue, les investissements dans les transports ferroviaires continueront. La grande nouveauté, c’est la gratuité des transports publics, sujet déjà amplement discuté. Et comme annoncé, cette mesure sera introduite « en parallèle avec une réforme des frais de déplacement forfaitaires déductibles des impôts ». Vu que cela aura aussi une incidence sur les fiches de paie de la « workforce » frontalière, qui risque de ne pas y voir que du « win-win », la mise en musique de cette promesse promet encore des discussions houleuses.

La même continuité s’applique d’ailleurs aux chapitres « famille, social et bénévolat », éducation et santé – à l’exception notable de la légalisation du cannabis à usage récréatif. Les vraies bonnes surprises se cachent ailleurs, comme dans la partie université, où l’on croirait aussi assister à un changement de cap, avec cette concession aux sciences sociales et humaines dont « l’importance sera reconnue » – une vraie confession, tout comme l’engagement pour la science fondamentale et la mise en place de partenariats « public-public ». Se dirige-t-on vers une délibéralisation de l’université ? Ces promesses ne seront en tout cas pas oubliées.

Bref, un premier survol met en évidence un programme gouvernemental débordant de bonnes intentions, mais ponctué de beaucoup de conditionnels – comme celui du maintien de la croissance. Si ce sont surtout les lignes bleues qui n’ont pas été franchies, on peut y lire pourtant aussi quelques concessions des libéraux pur jus. Un cocktail dont on ne connaît pas encore tous les ingrédients et qui pourrait soit être sublime, soit exploser…

Pour le chapitre climat, nous renvoyons nos lectrices et lecteurs aux deux articles en ligne de Raymond Klein. Une analyse approfondie du chapitre culture suivra en ligne sous peu.

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