Accueil des réfugiés : Dans les coulisses

Le nombre de demandes de protection internationale au Luxembourg a atteint un pic en 2015. Face à l’urgence, services de l’État, associations et bénévoles s’organisent. Un coup d’œil dans les coulisses de ce qui est un enjeu de taille sur le plan logistique et organisationnel.

Faire passer le temps en attendant une décision sur sa demande de protection internationale... 
Parties d’échecs au foyer Saint-Antoine. (Photo : woxx)

Faire passer le temps en attendant une décision sur sa demande de protection internationale… 
Parties d’échecs au foyer Saint-Antoine. (Photo : woxx)

Malgré la pluie battante à l’extérieur, l’ambiance au foyer Saint-Antoine, à Luxembourg-ville, est plutôt joyeuse. Il y a beaucoup de va-et-vient, tout le monde semble affairé. Dans une salle, un groupe de quatre jeunes hommes et une petite fille sont rassemblés autour de deux échiquiers. À quelques mètres de là, deux hommes sont en train de cuisiner. « Du poulet à la vapeur et du riz », expliquent-ils l’odeur qui émane de la cuisinière. Au sous-sol, dans un salon de coiffure improvisé, un homme se fait raser les cheveux par un autre. Les deux font des blagues, rigolent. « Le coiffeur est un ancien réfugié », dit Nicole Seuvic. Elle est la responsable de ce foyer géré par Caritas. « Il vient ici pour couper les cheveux à ceux qui n’en auraient pas les moyens autrement. C’est très important, surtout pour les jeunes, de pouvoir se faire beaux. »

Dans ce foyer, 85 demandeurs de protection internationale ont temporairement trouvé refuge. C’est une structure dite « d’hébergement », par opposition aux structures de « premier accueil ». Ici, au numéro 30 de la route d’Arlon, les gens arrivent après avoir passé quelques jours dans une des structures de premier accueil.

« Nous accueillons beaucoup de personnes vulnérables », explique Nicole Seuvic. « Nous ne sommes pas loin de l’hôpital, et puis nous disposons d’une équipe spécialisée, donc on nous envoie souvent des personnes nécessitant un suivi médical ou psychologique. » Le foyer Saint-Antoine accueille une trentaine de mineurs non accompagnés, entre autres.

« Pour le moment, nous réussissons à loger tout le monde. »

Assurer le suivi médical et psychologique des nouveaux arrivants est une des tâches qu’assure l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration. De l’hébergement dans une structure d’accueil jusqu’aux cours de langue, en passant par l’aide vestimentaire, c’est depuis l’avenue Victor Hugo au Limpertsberg que sont tirées la plupart des ficelles en matière d’accueil des réfugiés. Derrière une baie vitrée, à deux pas des lycées, en face d’un petit commissariat de police, se trouve l’Olai. Administration sous tutelle du ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, il emploie environ 70 personnes et assure la prise en charge des demandeurs de protection internationale à tous les niveaux.

2.447 demandeurs de protection internationale sont arrivés au Luxembourg en 2015. Plus du double du nombre d’arrivées en 2014, mais seulement 300 de plus qu’en 2011. Si, pour l’instant, il y a assez de lits pour loger tout le monde, c’est parce que le gouvernement a bien réagi face à l’urgence. C’est ce qu’affirme Corinne Cahen : « Nous avons doublé le nombre de lits en peu de temps. »

« Pour le moment, nous réussissons à loger tout le monde », explique la ministre de la Famille et de l’Intégration. Si les structures d’accueil habituelles gérées par l’Olai sont aux limites de leurs capacités – les 1.900 lits disponibles à travers le pays sont occupés -, les structures provisoires ont elles encore de la place. Environ 1.000 lits sur les 1.917 disponibles sont occupés. Le hall 6 de Luxexpo au Kirchberg, aménagé pour le premier accueil lors du pic de la crise des réfugiés, accueille, pour le moment, une bonne vingtaine de personnes seulement. « En septembre 2015, il y avait plus de deux cents personnes par moments », dit Cahen.

Une diminution du nombre d’arrivées, voilà ce qui rassure Marc Crochet, directeur général adjoint de la Croix-Rouge luxembourgeoise. Et pour cause : l’afflux massif a amené son organisation aux limites de ses capacités. « Notre service ‘migrants et réfugiés’ a quadruplé depuis août 2015. Il a 58 collaborateurs aujourd’hui. Nous planifions d’en avoir 133 avant la fin 2016 », détaille Crochet. C’est que, pour lui, l’afflux n’est pas près de s’arrêter. « S’il y a moins d’arrivées en ce moment, c’est à cause des fortes vagues en Méditerranée, dues aux conditions météorologiques. Mais à partir de mars ou avril, les arrivées vont à nouveau augmenter. »

1358stoosParallèlement à l’afflux de réfugiés, ce que Corinne Cahen appelle l’« afflux de bénévoles » a aussi diminué. « Au début, nous recevions une cinquantaine d’appels par jour sur la ligne téléphonique mise en place pour les personnes intéressées », détaille la ministre. « Aujourd’hui, nous en sommes à cinquante par semaine. » Un chiffre qui devrait lui aussi repartir à la hausse prochainement. Cahen affirme que ses services ont été « submergés » de volontaires potentiels, « ce qui était beau à voir ». Et de rappeler que cet « afflux massif de bénévoles » implique toute une logistique en coulisse.

Le Centre national de collecte et de tri, situé à la Cloche d’Or, à deux pas de l’imprimerie Saint-Paul et dans un entrepôt discret difficilement identifiable depuis l’extérieur, fait partie de cette logistique. Fabien Schmit, un quadragénaire jovial et bavard, nous y accueille. Il est le « gérant » du centre. « Je refuse de me faire appeler ‘directeur’ », clarifie-t-il d’emblée.

Mis en place par la Spëndchen asbl, gérée conjointement par Caritas et la Croix-Rouge, le CNCT, inauguré le 18 janvier 2016, sert d’entrepôt pour les dons vestimentaires destinés à des personnes dans le besoin, avant qu’ils ne soient livrés aux différentes structures à travers le pays – et même au-delà des frontières. Si la plupart des dons sont destinés à des réfugiés pour le moment, des structures pour sans-abri et autres personnes dans le besoin sont aussi livrées. « Une partie des dons est déposée ici par les donateurs eux-mêmes. Pour l’autre partie, nos chauffeurs vont chercher les dons déposés dans les 23 points de collecte du pays », détaille Schmit.

Souvent, ce sont de petites associations qui fournissent ces points de collecte. Ce n’est pas le cas d’« Eng Hand fir all Kand », une asbl créée en 2015, au cours de cette vague de solidarité déclenchée par l’arrivée massive de réfugiés. Eng Hand fir all Kand préfère fournir directement les structures d’accueil, sur demande.

« Nous sommes submergés de dons », explique Nathalie Krier pour l’association. « À tel point que nous n’acceptons plus d’habits pour enfants pour le moment. » Les dons récoltés sont distribués dans différents foyers d’accueil du pays, mais aussi à Bitburg par exemple. À côté des dons matériels, l’association récolte aussi des dons financiers, dont une partie a, entre autres, été envoyée à Calais. « En règle générale, nous essayons de distribuer les dons financiers au Luxembourg. Mais Calais, ça fait partie de la Grande Région pour nous. Et puis la détresse y est telle que nous ne pouvons pas ne pas agir… »

« Il faut essayer de ne pas trop tomber dans la bureaucratie, et il faut inclure la population pour dissiper les craintes. »

La redistribution des dons matériels se fait « selon les besoins ». « Nous sommes en contact étroit avec certains foyers ainsi qu’avec la Croix-Rouge de Bitburg », détaille la jeune mère. « Nous essayons de travailler de manière très ciblée, précise. » Les personnes de contact leur communiqueraient les besoins actuels d’une structure. Ensuite, un appel serait lancé sur les réseaux sociaux et diffusé aussi aux connaissances des sympathisants. « Cela nous permet de livrer exactement ce dont les structures ont besoin. »

Le nombre d’arrivées a explosé en 2015 par rapport à 2014. 
(Graphique : Direction de l’immigration / ministère des Affaires étrangères)

Le nombre d’arrivées a explosé en 2015 par rapport à 2014. 
(Graphique : Direction de l’immigration / ministère des Affaires étrangères)

Au foyer Saint-Antoine, on compte sur ces bénévoles. « En matière de dons matériels, nous faisons souvent des demandes précises auprès de personnes de contact », explique Nicole Seuvic, la responsable du foyer. À côté de ces dons ponctuels, bien que réguliers, les habitants du 30, route d’Arlon reçoivent des bons, une fois tous les six mois, pour des habits venant… du Centre national de collecte et de tri.

Au CNCT, les objets collectés sont triés minutieusement. Par une équipe de sept jeunes hommes, que Fabien Schmit appelle « meng Borschten ». Ils font l’objet de mesures de remise à l’emploi et ont généralement des contrats d’un an. Fabien Schmit, ils l’appellent « chef » ou « Fabien », simplement. « Chef, je vais aller manger », lance un jeune homme en allemand. « Lui, c’est un réfugié », explique le « chef ». « Le soir il dort à la ‘Wanteraktioun’, la journée il fait du bénévolat ici. »

Car à côté de l’équipe fixe, le CNCT a aussi recours à des volontaires. Une jeune femme, bénévole elle aussi, est affairée à trier des habits pour nouveau-nés, écouteurs dans les oreilles. « Nous avons régulièrement des personnes qui viennent nous aider durant leur temps libre », dit Schmit. « Au début, mes ‘Borschten’ ne comprenaient pas. ‘Comment, ça’, disaient-ils, ‘il y a des gens qui viennent faire notre boulot sans gagner d’argent ?’ », explique-t-il en rigolant.

L’Olai et les associations avec lesquelles il entretient une collaboration ont recours a des bénévoles dans de nombreux domaines, à commencer par la collecte et le tri de dons matériels, mais aussi pour des activités de loisirs, des cours de langue ou l’accompagnement personnel dans les démarches administratives et dans la vie quotidienne.

Les bénévoles, c’est le fonds de commerce de Marc Crochet en quelque sorte. Son organisation, la Croix-Rouge luxembourgeoise, gère la majorité des foyers de premier accueil dans le pays. « Notre souhait, c’était de pouvoir organiser le premier accueil », confie-t-il. « Cela correspond le mieux à une organisation humanitaire comme la nôtre. »

Afin d’organiser la réponse à l’afflux massif, les grandes structures associatives classiques – Agence du bénévolat, Caritas, Croix-Rouge, Asti entre autres – essayent de maintenir une collaboration étroite. Sur initiative de l’Olai, elles se sont retrouvées pour identifier des moyens de faire face à la crise. À côté des fonds prévus de toute façon par le budget de l’État, des fonds spéciaux pour la gestion de la crise des réfugiés ont été débloqués par le gouvernement. L’œuvre Grande-Duchesse Charlotte a, de son côté, débloqué dix millions d’euros pour l’accueil. Parmi les organisations avec lesquelles l’Olai collabore, chacune a ses spécialités.

Pour la Croix-Rouge, c’est tout ce qui concerne l’urgence humanitaire. « Nous sommes des logisticiens de l’urgence », affirme Marc Crochet. L’équipe du service « migrants et réfugiés » de la Croix-Rouge est composée de travailleurs sociaux, d’éducateurs, de psychologues, mais aussi de beaucoup de bénévoles. Des bénévoles qui sont, en partie, des réfugiés ou d’anciens réfugiés eux-mêmes, comme le souligne le directeur général adjoint. À côté des tâches habituelles confiées à des bénévoles – distribution de repas, collecte et tri de dons matériels, aide dans les démarches administratives -, les volontaires de la Croix-Rouge organisent aussi des activités, des cours de langues ou d’instruction civique pour les nouveaux arrivants.

« La solidarité est immense au Luxembourg. »

De leur côté, les petites associations d’aide aux réfugiés restent plutôt entre elles. « Nous échangeons régulièrement avec d’autres petites structures, comme ‘Catch a smile’, ‘Konterbont’ ou ‘Mir wëllen Iech ons Heemecht weisen’, l’association de Serge Tonnar », dit Nathalie Krier. « Pour nous, le facteur humain est très important. Il faut essayer de ne pas trop tomber dans la bureaucratie, et il faut inclure la population pour dissiper les craintes. »

Au Centre national de collecte et de tri, les dons vestimentaires sont entreposés, triés, puis redistribués. (Photo : woxx)

Au Centre national de collecte et de tri, les dons vestimentaires sont entreposés, triés, puis redistribués. (Photo : woxx)

Une approche trop bureaucratique, c’est ce qu’elle reproche à l’Olai, mais aussi à la Croix-Rouge : « Nous avons des contacts avec des personnes spécifiques à l’Olai. Mais, en général, tout ce qui touche à cette organisation est très bureaucratique et assez compliqué. » Même constat pour la Croix-Rouge : « C’est très compliqué », dit Krier. « Parfois, j’ai l’impression que c’est un club privé, qui ne veut travailler qu’avec ‘ses’ bénévoles. » Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas d’estime pour le travail fourni par les grandes ONG : « Elles font du bon boulot, à une échelle qui nous dépasse. On aimerait juste être pris un peu plus au sérieux. »

Des reproches que comprend Marc Crochet, sans forcément être d’accord. « Nous avons un réel problème de ressources. Chaque personne qui a une idée de projet vient nous voir. C’est chouette que des gens veuillent s’engager, mais derrière, il faut l’organiser. » À tel point qu’il estime qu’un « deuxième champ de bataille » s’est ouvert, pour son organisation, à côté de l’accueil : celui de la coordination de toutes les bonnes volontés individuelles.

« Ça fait des mois que nos collaborateurs ne prennent pas de congés. C’est une situation exceptionnelle, mais je suis serein », explique-t-il. « La baisse des arrivées pendant l’hiver nous permet de nous organiser pour les mois à venir. » Mais il n’y a pas que du négatif, au contraire : « La solidarité est immense au Luxembourg », se réconforte Crochet. « Parfois, j’ai l’impression qu’il y a 500.000 bénévoles ici », sourit-il.

C’est aussi le constat que fait Fabien Schmit : à deux reprises, des écoles sont venues aider bénévolement au CNCT, par exemple. « Ça fait plaisir, évidemment », sourit-il. « Ça redonne de l’espoir. Et puis, ce sont les bénévoles de demain ! »

Muhammed, 16 ans, originaire d’Alep en Syrie, se dit bouleversé par l’accueil qui lui est réservé au Luxembourg. Il est réfugié « mineur non accompagné », arrivé donc au Luxembourg tout seul. « J’ai traversé huit pays », raconte-t-il. « Je connaissais le Luxembourg avant de partir, et mon but c’était de venir ici. » Ce qui l’a attiré ? « La multiculturalité, le fait qu’on y parle des tas de langues différentes. J’ai toujours rêvé de vivre au Luxembourg un jour. Puis, quand la situation en Syrie s’est détériorée et que je n’ai plus eu le choix, j’ai décidé de tenter le tout pour le tout. » Aujourd’hui, il réside au foyer Saint-Antoine. « Tout le monde a été super sympa avec moi », sourit-il. « Je suis tellement excité d’être ici ! »


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