Avec un souffle qui mêle habilement la grande et la petite histoire dans un tourbillon de couleurs et d’émotions, les Années folles vues par Albert Dupontel dans « Au revoir là-haut » sont un véritable plaisir visuel, malgré une narration un peu trop sage.
Tout commence à la fin de la Grande Guerre. Alors que l’armistice est en vue, les soldats Maillard (Albert Dupontel) et Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart) sont envoyés avec leurs camarades à l’assaut d’une tranchée allemande, en dépit du bon sens qui dicterait d’attendre sans broncher la résolution du conflit. L’ordre est donné par le lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte), et les conséquences sont dramatiques : un massacre parmi les soldats exposés au feu allemand, et la perte de la moitié inférieure du visage pour Péricourt. Pris en charge par Maillard dans cet après-guerre où les vétérans peinent à trouver leur place dans la société, celui-ci va s’inventer une vie rêvée en se façonnant des masques qui cachent son infirmité… et organiser une immorale arnaque aux monuments aux morts.
Dès l’ouverture, qui fait revivre l’atmosphère des tranchées d’un long mouvement de caméra, Albert Dupontel nous intime de bien nous caler dans notre fauteuil : c’est parti pour deux heures de plans cadrés au couteau et de photographie léchée, accompagnés d’une musique de circonstance. Une virtuosité dans la mise en scène qui colle parfaitement au sujet, inspiré du roman de Pierre Lemaitre, prix Goncourt en 2013. Dans ce Paris des Années folles fleurissent autant la joie d’un conflit enfin terminé que les petites magouilles des opportunistes. Toute une faune bourgeoise ou interlope qui semble taillée sur mesure pour cette atmosphère de bande dessinée à l’écran, marque de fabrique du réalisateur. Les deux ex-soldats, aidés par le fait que Péricourt est le fils d’un banquier influent – avec qui il a pourtant coupé les ponts -, ne sont d’ailleurs pas les pires : le lieutenant Pradelle, leur quasi-bourreau, prospère en faisant commerce de cercueils vides censés être rendus aux familles des militaires tués. Virtuosité dans l’escroquerie également, donc.
Si Albert Dupontel aux manettes signe là son film le plus ambitieux du point de vue de la réalisation, en se coltinant à une fresque digne de son talent de conteur excentrique, c’est aussi grâce à la juxtaposition de personnages très différents, bien servis par ses acteurs. Au méchant emblématique que sait composer Laurent Lafitte, hâbleur et coureur en lieutenant Pradelle, répondent la timidité piquée au vif d’Albert Dupontel en Maillard et la créativité débridée de gueule cassée de Nahuel Pérez Biscayart en Péricourt. Quatrième larron, Niels Arestrup, qui joue Péricourt père, est impressionnant de roublardise et de remords à la fois. Le quatuor est parfait, au point d’éclipser les rôles féminins, pourrait-on lui reprocher cependant.
La narration en flash-back est également un peu convenue et freine parfois le rythme effréné de cette course folle, dont on aurait aimé qu’elle ne soit qu’un perpétuel galop. N’empêche, il y a de l’ambition, du talent et du souffle à revendre dans ce film, sans compter une candeur touchante et une empathie réelle pour les cabossés de la vie. Un thème d’ailleurs récurrent chez Dupontel, mais qu’il traite ici avec une intensité digne d’une superproduction, sans pourtant renoncer à l’intime. Un bon point pour le cinéma français actuel.
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L’évaluation du woxx : XX