Antoine Raimbault : Zones d’ombre

Dans son premier film, « Une  intime conviction », Antoine Raimbault revient sur l’affaire Viguier. Servi par d’excellents acteurs, il éclaire avec subtilité les zones grises du système judiciaire. Toutefois, sa tendance à se disperser rend son histoire difficile à comprendre.

Une histoire pas très claire qui risque de broyer des vies entières : « Une intime conviction » est basé sur des faits réels.

Le 27 février 2007, Suzanne Blanch disparaît. Malgré l’absence du corps et de toute preuve, son mari, Jacques Viguier, professeur de droit à l’université de Toulouse, est accusé de l’avoir tuée. Après un premier procès, il est acquitté, mais le parquet fait appel. Nora, qui n’a absolument aucun doute sur son innocence, tente alors de convaincre un ténor du barreau, Me Éric Dupond-Moretti, d’assurer sa défense. Celui-ci finit par accepter, malgré le fait que le temps presse, à un mois du début des audiences. Plusieurs centaines d’heures d’écoutes téléphoniques doivent être décortiquées. Nora devient de fait l’assistante de l’avocat.

Ce premier film d’Antoine Raimbault est, selon la formule consacrée, « tiré-d’une-histoire-vraie ». En l’occurrence l’un des faits divers les plus commentés en France ces dix dernières années. Or qu’est-ce qui est vrai dans cette histoire ? Que s’est-il réellement passé en février 2007 ? Suzanne a-t-elle abandonné son mari et ses deux enfants pour recommencer sa vie ? A-t-elle été assassinée ? Si oui, pour quelle raison, de quelle manière ? Où serait passé le cadavre ? Rien n’a pu être établi. Les enquêteurs ont estimé que Viguier était un assassin vraisemblable. Juges et jurés ont, quant à eux, eu à trancher en fonction de leur « intime conviction » – cette notion de droit français qui signifie en gros qu’en dernier ressort, la décision de justice repose sur la subjectivité de la conviction personnelle.

« Une intime conviction » est donc une sorte de voyage en zone grise, au cours duquel le spectateur va faire la connaissance de personnages qui ne sortiront jamais tout à fait de l’ambiguïté. Viguier est interprété par un Laurent Lucas qui lui prête des traits tantôt banals, tantôt troublants. Qui est cet accusé peu loquace ? Un petit homme fade, trompé par une épouse en mal de passion, ou bien ce brillant professeur capable de commettre froidement le crime parfait, dépeint par certains médias ? Le rôle de Nora, portée par l’excellente Marina Foïs, n’est pas moins inquiétant. On ne sait pas ce qui la pousse à chercher à tout prix à sauver la peau de quelqu’un qu’elle connaît à peine. À s’acharner jusqu’à se mettre en danger elle-même, mais aussi son fils. À jouer avec le mensonge – ne serait-ce que par omission – dans l’espoir de faire jaillir la vérité.

Surplombant les deux, il y a Me Dupont-Moretti, un personnage plus grand que nature, massif et caractériel, dans le rôle duquel Olivier Gourmet s’est pourtant glissé avec grâce et panache. L’« Acquitator », tel qu’il est surnommé, va secouer Nora à plusieurs reprises pour lui apprendre que la justice est un métier avant d’être une vertu. L’avocat n’a pas à se lancer dans la quête d’une hypothétique vérité. Sa mission est de sortir son client d’une machine judiciaire qui broie sa famille depuis des années.

Si le film réussit à illustrer toutes les équivoques d’une affaire judiciaire, il peine parfois à présenter clairement les faits. Certaines audiences sont compliquées à suivre. Il faut s’accrocher pour saisir pourquoi tel extrait de conversation téléphonique se révèle crucial. La raison est que Raimbault se disperse par ambition. Il n’a visiblement pas souhaité se cantonner au genre du film de prétoire, d’où l’invention du personnage de Nora. Le résultat est qu’on a l’impression de regarder deux films à la fois. L’un sur un crime non résolu, l’autre sur une mère célibataire qui peine à concilier sa vie de famille, son métier et une activité parallèle de plus en plus obsédante.

L’autre défaut du film est le manque de souffle cinématographique. L’image est terne, les lieux sont tristes. On passe de la banlieue pavillonnaire de Toulouse au palais de justice d’Albi, des décors aussi émoustillants qu’un dimanche d’automne à Audun-le-Tiche. Bref, un film ambitieux qui se tire parfois une balle dans le pied – dommage.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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