Arnaud Desplechin : Les pistes aux étoiles


Dans son nouveau film porté par un casting de stars (entre autres Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg), Arnaud Desplechin multiplie les récits avec brio et gourmandise.

Les spectres du passé sont légion dans le nouveau Desplechin.

Après « Le cinquième élément », « Moulin Rouge » ou « Robin des Bois » lors de précédentes éditions, c’est donc le nouveau long métrage d’Arnaud Desplechin qui a ouvert le 70e Festival de Cannes. Certains en ricaneront : film d’auteur par excellence, « Les fantômes d’Ismaël » n’aurait pas vraiment le profil « glamour-bulles de champagne » qu’on attend pour ouvrir les festivités cannoises. Avec son casting rutilant et son récit à forte teneur romanesque, le film nous laisse pourtant des étoiles plein les yeux lorsque défile son générique de fin.

À propos d’étoiles, Sylvia (Charlotte Gainsbourg) exerce le métier sérieux et presque magique d’astrophysicienne. Elle est protestante, rassurante, raconte qu’elle se « saoulait doucement » le soir où elle a rencontré Ismaël (Mathieu Amalric). Lui est un réalisateur fébrile qui ne dort pas la nuit, préférant écrire son nouveau film, centré sur son frère Ivan, diplomate. On passe donc des scènes de la vie d’Ismaël et Sylvia (au présent ou en flash-back) à des scènes du film que prépare Ismaël (et c’est Louis Garrel qui incarne Ivan dans ce film dans le film, vous suivez ?). Tout se complique encore quand surgit sur une plage Carlotta (Marion Cotillard), le grand amour de jeunesse d’Ismaël, disparue sans laisser de traces vingt ans plus tôt.

Soutenu par une brillante bande originale de Grégoire Hetzel, « Les fantômes d’Ismaël » déroule son récit mille-feuilles à un rythme trépidant qui donne le vertige. Après un précédent film très composé (le déchirant « Trois souvenirs de ma jeunesse », découpé en autant de parties), Arnaud Desplechin lâche la bride et privilégie la logique du rêve, ou du « cauchemar éveillé » comme le dit à un moment Ismaël.

Ce qui bluffe chez le réalisateur de « Rois & reine », c’est sa virtuosité, mais aussi son formidable appétit. Tous les genres du cinéma ou presque sont convoqués : film d’amour (le trio Ismaël-Sylvia-Carlotta), film d’espionnage (les aventures d’Ivan), conte fantastique (Carlotta, femme fantôme), comédie burlesque (les scènes avec Hippolyte Girardot en producteur allumé), voire musicale (Cotillard qui se trémousse sur « It Ain’t Me Babe » de Dylan).

Dans cette œuvre lyrique sur le transport amoureux, nous sommes trimballés d’un Paris nocturne et enfumé à une plage ensoleillée de Noirmoutier, d’une mission à Prague à une autre au Tadjikistan. Pour nous guider dans cette traversée, on peut compter sur des comédiens phares : Mathieu Amalric, alter ego du cinéaste, plus étourdissant que jamais, Charlotte Gainsbourg vibrante en femme blessée mais qui ne rend pas les (l)armes, Marion Cotillard très convaincante dans le rôle délicat d’une revenante, sans oublier Louis Garrel, bondissant chauve qui sourit.

Chaque scène, chaque personnage – y compris le frère handicapé de Sylvia, qu’on ne voit qu’en photo – est un tiroir qui renferme un nouveau film possible. Alors bien sûr, il y a quelque chose d’un peu frustrant dans cette manière de multiplier les pistes, d’oser la profusion au risque de la confusion. Il faut accepter d’être parfois perdu et de ne pas obtenir de réponse à toutes les questions. Mais combien de cinéastes français aujourd’hui font preuve d’une telle ambition, d’un tel souffle ?

À ceux qui voudraient prolonger la chasse aux fantômes, signalons enfin qu’une version « director’s cut », plus longue de 20 minutes, sera disponible lors de la sortie du film en DVD.

À l’Utopia
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