Tandis que « Shining » est pour le commun des mortels un des chefs-d’œuvre de Stanley Kubrick, ce nom a une sonorité très différente pour les fans de musique extrême. Et pour cause : les Norvégiens mélangent savamment le black metal au jazz.
Attention : risque de confusion ! Avant d’aller à un concert de Shining, vérifiez bien qu’il s’agit du groupe norvégien. Un groupe du même nom d’origine suédoise existe bel et bien, mais sa musique ne pourrait différer plus. Alors que ce dernier, bien glauque, est souvent associé au « national socialist black metal » ainsi qu’au « suicide black metal » (même si ses membres refusent cette dernière qualification), son confrère norvégien est à la pointe de l’avant-garde du moment.
Et pour cause : son fondateur et unique membre constant du groupe, Jørgen Munkeby, fut aussi à l’origine d’une formation de jazz scandinave parmi les plus prolifiques de ces dernières décennies, à savoir Jaga Jazzist. Membre à partir de la fondation en 1994 et jusqu’en 2002 – il y jouait entre autres du saxophone, de la flûte et de la clarinette -, Munkeby débuta Shining en 1999. À l’époque encore en tant que quatuor de jazz « classique » avec saxophone, piano, contrebasse et batterie. Le premier album du groupe, « Where the Ragged People Go » (2001), contrastait déjà avec la scène de jazz norvégienne ambiante, mais pas pour son extrémisme. Tout au contraire : en prônant un jazz tout à fait acoustique, mais de grande qualité, la troupe à Munkeby s’est distancée d’un environnement où la recherche vers plus de psychédélisme, d’electro et de rock (voire post-rock) dominait le jazz scandinave à ce moment.
L’album suivant, « Sweet Shanghai Devil » (2003), continua dans la lignée acoustique tout en s’inspirant plus du free jazz – notamment d’Ornette Coleman et de John Coltrane. Ce n’est qu’avec « In the Kingdom of Kitsch You Will Be a Monster » que la métamorphose eut lieu. Cet album, paru en 2005, vit les instruments acoustiques disparaître au profit de synthés, de programmations et de guitares électriques. Pour expliquer cette transformation, Jørgen Munkeby a fréquemment cité ses compatriotes de Motorpsycho, un des groupes de rock les plus féconds de Norvège. Alors que cet album mettait déjà le cap en direction du metal, il fallut attendre la parution de « Blackjazz », en 2010, pour en arriver au Shining qu’on connaît maintenant.
Entre-temps, le groupe avait eu le temps et l’occasion d’expérimenter. Non seulement en publiant encore un album (« Grindstone », en 2007), mais surtout en acceptant aussi une commande du festival Moldejazz (apparemment un des plus vieux d’Europe, selon Wikipédia). Les gars de Munkeby délivrèrent avec « Nine Nights in Nothingness – Glimpses of the Downfall » un concert en cinq mouvements, avec des références à György Ligeti, Olivier Messiaen, la science-fiction, le jazz et le metal.
Après ce triomphe, la musique de Shining n’en est devenue que plus consistante et plus intensive. Finies les évasions psychédéliques, place aux rythmes et aux mélodies dévastatrices mêlées à des solos de saxophone de Munkeby qui ne sortent pas du contexte.
Certes, on peut se demander d’où vient la fascination pour le black metal de nos jours, puisqu’on le retrouve aussi bien dans nos musées que mélangé à d’autres genres. Peut-être qu’une raison est que la musique pop et rock de ces dernières années est devenue tellement profane que le black metal est perçu comme le dernier refuge du spirituel et sacré en musique – fût-il satanique ou non.
En tout cas, pour Shining, cette addition à la musique du groupe porte ses fruits, car non seulement celui-ci est à la fois connu dans les mondes du jazz et du metal, mais il a sûrement aussi ouvert des portes vers l’inconnu aux aficionados des deux genres.