Campagne de vaccination : « Här ass Här… »

La crise pandémique a l’avantage de mettre à nu non seulement les problèmes des plus précaires, mais aussi les structures du pouvoir – qui attestent d’un certain féodalisme bien ancré au grand-duché.

Photo : Wikimedia/Daniel Paquet

Cela aurait pu se passer comme chez nos voisin-e-s de Trèves. Le 15 janvier, l’Ordnungsdezernent Thomas Schmitt se trouvait au centre de vaccination de sa ville alors que l’heure de la clôture s’approchait et que toutes les personnes sur les listes avaient reçu leur dose. Il restait pourtant un vaccin qui aurait expiré s’il n’avait pas été utilisé le jour même. Schmitt se fait administrer ce vaccin et démissionne quelques jours plus tard, quand l’affaire devient publique. Il s’excuse devant tout le monde et prend ses responsabilités. Un geste tellement apprécié qu’aujourd’hui des pétitions tournent pour le réintégrer à son poste, même de la part du camp politique adverse.

On ne pourrait pas être plus éloigné de cette réalité de notre côté de la Moselle et de l’Our. Après les révélations sur les vaccins reçus par trois membres des hôpitaux Robert Schuman et par le président des Hospices civils (qui est le seul au moins à avoir présenté des excuses) ainsi que les rumeurs sur d’autres faits du prince, la sphère publique ne peut que rester abasourdie par l’arrogance et la nonchalance affichées par ces hommes de pouvoir, bien connectés et aux multiples casquettes – mais pas ou plus légitimés démocratiquement. Le pire est que les faits sont indiscutables : tous ont reçu une vaccination qui ne leur était pas due. Et au lieu de chercher à se faire pardonner, le président des hôpitaux Robert Schuman – dont les statuts de la fondation mentionnent explicitement que ses activités « doivent s’exercer dans le respect des principes éthiques de l’Église catholique » – se complaît encore dans son attitude désastreuse. Comme s’il n’avait rien à craindre, comme s’il était inatteignable par les conséquences qui frapperaient un citoyen lambda. C’est en cela que l’attitude de Jean-Louis Schiltz et consorts est comparable à celle de la noblesse moyenâgeuse.

Les réactions de la classe politique renforcent encore cet état de fait. La ministre de la Santé, qui veut clore le dossier avant qu’il ne soit vraiment ouvert et redécouvre les fameuses « divergences d’interprétation » presque synonymes de scandale politique au Luxembourg, en est un exemple – le silence de la majorité (à l’exception de quelques socialistes) en est un autre. On ne s’en prend pas impunément à la seigneurie de la Chambre de commerce, de la Fedil, de Bertelsmann et d’autres corporations sans risquer des conséquences pour sa propre carrière politique et postpolitique. Le vrai pouvoir n’est souvent pas là où il s’affiche, et ce sont de pareilles attitudes qui permettent de le découvrir.

CCNULL_Marco Werch

Le vrai pouvoir n’est souvent pas là où il s’affiche, et ce sont de pareilles attitudes qui permettent de le découvrir.

En conséquence, la population qui trotte chaque matin jusqu’à sa boîte à lettres dans l’espoir d’y trouver un courrier l’invitant à se faire vacciner afin de retrouver une vie sans restrictions a raison d’être méfiante envers sa représentation démocratique, qui rechigne à la mettre à l’abri des abus de pouvoir des puissant-e-s et influent-e-s. Ce qui d’un autre côté va attirer encore plus de citoyen-ne-s dans le cercle de celles et ceux qui, depuis le début de la pandémie, reprennent en chœur les théories du complot les plus folles et sèment le doute tout en empoisonnant le vivre-ensemble. Car ces mouvements et ces fossés sociétaux ne disparaîtront pas avec la pandémie. Rien ne sera « normal » et « comme avant ». Le fait qu’une des associations qui clame sa vérité sous le label « pure information » a pu recruter l’ancienne députée verte Christiane Wickler devrait pourtant faire sonner les alarmes.

Mais rien n’y fait : le gouvernement reste sur sa ligne, tente d’aplanir les couacs à gros coups de communication et laisse le doute et la méfiance s’installer. La dénonciation au parquet des « Impfdrängler » par le député pirate Sven Clement reste donc la seule défense immunitaire contre les chevaliers des conseils d’administration. Ce sera à la justice de trancher si « Max bleift Max ».


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