Congrès de l’OGBL : Veillée d’armes syndicale

L’OGBL a fait les choses en grand et sous le signe de l’unité pour son congrès, qui s’est tenu les 28 et 29 mars. Personnalités politiques luxembourgeoises et dirigeantes syndicales étrangères de premier plan ont porté des messages combatifs dans un contexte de dérégulation sociale généralisé. Le discours du député CSV Marc Spautz était particulièrement attendu. Reconduite à la présidence du syndicat, Nora Back a multiplié les avertissements contre un gouvernement qui tente de délégitimer les organisations de salarié·es.

Selena Carbonero, secrétaire fédérale de la FGTB belge, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT française, et Nora Back, présidente de l’OGBL. Les trois dirigeantes témoignent d’un changement profond dans un monde syndical longtemps dominé par des figures masculines. (Photo : Fabien Grasser)

La photo a fait le tour des médias : Nora Back et Marc Spautz sont tout sourires et se tiennent côte à côte face à des centaines de syndicalistes de l’OGBL, réuni·es en congrès à Luxexpo The Box, les 28 et 29 mars. En temps normal, l’image accrocherait à peine le regard. Mais l’époque est trouble, et la discorde entre syndicats et gouvernement est sans précédent depuis des décennies. La présence du chef de la fraction chrétienne-sociale n’est donc pas anodine sur l’estrade d’un congrès que la première organisation syndicale du pays n’organise que tous les cinq ans et présente comme son « instance suprême ». Le député du Sud n’entend pas se cantonner au simple rôle de caution sociale de la coalition CSV-DP, dont les ambitions dérégulatrices sonnent comme une déclaration de guerre au monde du travail et aux organisations qui le représentent. La venue de Marc Spautz est d’autant plus significative que l’OGBL n’a convié aucun membre du gouvernement cette année.

Il est l’une des trois personnalités politiques invitées à prendre la parole le vendredi matin, en ouverture du congrès. Il est en quelque sorte pris en sandwich entre son homologue du LSAP, Taina Bofferding, qui s’exprime avant lui, et l’ancien commissaire européen socialiste Nicolas Schmit, qui prend la parole à sa suite. Marc Spautz sait qu’il est « en terrain glissant en venant au congrès de l’OGBL ». Mais l’ancien joueur de hockey qu’il est ne craint pas les glissades, plaisante-t-il. Pendant une douzaine de minutes, il aborde certains des sujets qui fâchent le monde syndical. Pour l’ancien secrétaire général adjoint du LCGB, il y a des principes avec lesquels on ne transige pas, à commencer par un dialogue social dont on ne peut pas écarter les syndicats au profit d’un huis clos entre patronat et gouvernement.

Dénonçant l’intention de la coalition d’affaiblir les organisations de salarié·es en les privant de leur exclusivité à négocier les conventions collectives de travail, Marc Spautz juge logique la constitution d’un front syndical avec le LCGB : « Il en va de leur survie et de celle du modèle social luxembourgeois », sur lequel s’est construit la réussite économique du pays. Le patron des député·es CSV n’est pas revenu sur la libéralisation des horaires de travail et d’ouverture dominicale dans le commerce, projets qu’il a dénoncés dans un coup d’éclat, quelques jours plus tôt, lors du congrès du parti chrétien-social, assumant le rôle du frondeur social dans le parti majoritaire. Marc Spautz se veut toutefois optimiste et croit que la table ronde sociale annoncée par le premier ministre, Luc Frieden, peut encore déboucher sur un consensus acceptable pour toutes les parties.

Avant lui, la patronne des député·es socialistes et ancienne employée de l’OGBL, Taina Bofferding, dénonce les attaques contre les pensions ou les horaires de travail, en concluant par un vibrant « vive l’OGBL, vive le LSAP ». La sortie fait grincer quelques dents dans les rangs syndicaux, alors que le rajeunissement des instances dirigeantes de l’OGBL coïncide avec une prise de distance avec le LSAP, nombre de membres du bureau exécutif penchant désormais bien davantage à gauche.

L’unité en mode féminin

Présenté par Nora Back comme « le papa de la directive européenne sur un salaire minimum adéquat », Nicolas Schmit résume tout d’abord un contexte international caractérisé par le « fascisme russe » ou le retour de Trump. Constatant que l’écart entre les salaires minimaux va de un à six au sein de l’UE, l’ancien commissaire européen chargé de l’emploi défend sa directive, dont la pierre faîtière est la négociation de conventions collectives de travail, précisément remise en cause au Luxembourg. Tout au long de son discours, il répète son identité sociale-démocrate et son attachement à ce camp politique.

Maniant avec adresse les formules chocs au cours d’un discours débité sur le ton virulent dont il est coutumier, Nicolas Schmit s’est offert un petit triomphe face aux délégué·es du syndicat. « C’est lui qu’on va élire au poste de président », ironise l’un d’eux, alors que les relations de l’OGBL n’ont pas toujours été des plus apaisées avec le socialiste quand il était ministre du Travail, de 2009 à 2018. Moins enclin à la plaisanterie sur le sujet, le président du parti communiste, Ali Ruckert, vitupère contre les deux ténors socialistes qui viennent de prendre la parole : « Les mêmes n’ont pas arrêté de manipuler l’index ces 20 dernières années. » Pour sa part, l’OGBL justifie cette prédominance du LSAP parmi ses orateurs et oratrices par sa place de premier parti d’opposition, donc le plus à même de porter ses revendications au parlement.

L’unité étant l’un des mots d’ordre de ce congrès, elle se joue aussi à l’international. Et en mode féminin. Tour à tour, sur la scène du congrès, Selena Carbonero, secrétaire fédérale de la FGTB belge, et Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT française, délivrent un message de solidarité à l’OGBL. Comme Nora Back, elles alertent sur le retour d’un patriarcat triomphant mettant en péril la condition des femmes. Mais ce n’est pas leur seul point de convergence : toutes trois luttent dans leur pays contre des réformes des retraites mises en œuvre par des gouvernements de droite, s’attaquant au montant des prestations et à l’âge de départ. Trois femmes aux combats semblables à la tête de puissants syndicats : l’image témoigne d’un changement profond dans un monde syndical longtemps dominé par des figures masculines, mais aussi de l’évolution d’un monde du travail où les ouvriers ne sont plus majoritaires, les trois dirigeantes affichant chacune un parcours universitaire.

Unité toujours au deuxième jour du congrès. En premier lieu syndicale, avec la présence de Patrick Dury, président du LCGB, avec lequel l’OGBL forme désormais un front syndical. En février, Nora Back avait de la même manière assisté au congrès du syndicat chrétien. Dans son allocution de clôture, la présidente du syndicat égrène une nouvelle fois les sujets de conflit avec le gouvernement, dont le programme est, à ses yeux, un copier-coller des desiderata patronaux. Comme la veille, elle réserve de sévères saillies à Georges Mischo, le ministre CSV du Travail, qu’elle accuse de vouloir saper la légitimité des organisations de salarié·es. Ce dernier s’en défend, revendiquant sa filiation avec le LCGB. À l’instar donc de Marc Spautz qui, à l’évidence, ne partage pas sa vision du dialogue social. Il y a disruption.

Contredire l’oracle Luc Frieden

Le 8 février, les 280 délégué·es du congrès du LCGB avaient reconduit Patrick Dury à leur tête par « vifs applaudissements », selon le communiqué publié par la centrale. Ce 28 mars, c’était au tour de Nora Back d’être confirmée à la présidence de l’OGBL, pour un second mandat, par 97 % des délégué·es. On ne change pas de capitaine en pleine tempête, et les deux responsables syndicaux se trouvent donc bien ancré·es à la barre de leurs navires respectifs pour les cinq prochaines années, voyant leur stratégie validée par les membres de leurs syndicats. Dans les deux cas, les délégué·es ont également approuvé le rapprochement inédit opéré par les deux organisations traditionnellement concurrentes au sein d’un front syndical, rendu « nécessaire par les attaques du gouvernement et du patronat » contre leur légitimité, selon les mots de Nora Back. L’évocation répétée de cette unité au cours des deux congrès a été largement applaudie et a abouti à l’adoption commune d’une « résolution d’urgence », sous la signature du front syndical. Celui-ci s’articule autour de sept points qui témoignent des attaques menées tous azimuts contre les droits et acquis sociaux : « Conventions collectives de travail, assurance pension, assurance maladie, égalité de traitement entre frontaliers et résidents, organisation du temps de travail et heures d’ouverture des commerces, droit aux rassemblements et fiscalité. » Le menu est copieux, et les deux organisations vont mesurer dans les semaines à venir l’ampleur de la mobilisation des salarié·es pour la défense de leurs droits. Premier rendez-vous ce 1er mai, pour la journée internationale des travailleurs, événement habituellement plutôt détendu, mais qui prend un tour bien plus revendicatif cette année. La vraie épreuve de force aura néanmoins lieu le samedi 28 juin, avec une manifestation nationale pour laquelle LCGB et OGBL espèrent mobiliser plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues de la capitale. Et ainsi contredire l’oracle Luc Frieden, le premier ministre qui affirme que « les Luxembourgeois ne descendent pas dans la rue ». Le passé a déjà prouvé le contraire, et les « Luxembourgeois » ne seront peut-être pas tout à fait seuls à battre le pavé ce jour-là, la moitié des salarié·es du pays venant de France, de Belgique et d’Allemagne. Mais, s’agissant de personnes ne votant pas au Luxembourg, peut-être sont-elles considérées comme quantité négligeable par le gouvernement.

Couac à l’UEL

Erreur de timing ou provocation ? L’on pouvait honnêtement s’interroger sur le sens à donner à l’invitation lancée par l’UEL aux médias pour une conférence de presse consacrée à « la modernisation du droit du travail », prévue le vendredi 28 mars, soit le jour où débutait le congrès de l’OGBL, planifié de longue date. « Face aux profondes mutations du monde du travail, l’évolution du droit du travail est essentielle pour accompagner ces transformations et permettre aux entreprises de retrouver une dynamique de productivité », énonçait un court communiqué accompagnant l’invitation de l’organisation patronale, parvenue aux rédactions pile une semaine avant le raout syndical. La conférence de presse, au cours de laquelle devaient s’exprimer Michel Reckinger, président de l’UEL, et son directeur, Marc Wagener, a cependant été annulée deux jours avant sa tenue. Pour quelle raison ? « Il s’agit d’un motif sur lequel nous ne souhaitons pas communiquer », fait savoir l’organisation patronale au woxx, repoussant l’événement à une date ultérieure. Quoi qu’il en soit, cette marche arrière a évité de jeter de l’huile dans les flammes d’un climat social dont l’UEL a nourri l’incandescence ces derniers mois.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Die Kommentare sind geschlossen.